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(touregypt.net)
Les Hébreux en Egypte

(carey.ac.nz)






            L'histoire de Joseph est celle de l'un des fils du patriarche Jacob, promu vice-roi de la puissante monarchie égyptienne. Né sous la tente d'une famille nomade de Canaan, Joseph est d'abord victime dans sa jeunesse de la persécution de ses onze frères, qui le vendent comme esclave à des marchands itinérants. Emmené captif en Egypte, il entre comme serviteur auprès d'un officier nommé Potiphar. Il arrive qu'en l'absence du maître, l'épouse de celui-ci courtise Joseph sans succès. Pour se venger de son refus, elle l'accuse faussement d'avoir tenté de la séduire, et il est jeté en prison.

            L'emprisonnement donne l'occasion à Joseph de montrer à ses gardiens qu'il possède le don d'interpréter les rêves. On lui demande alors d‘expliquer un rêve étrange qu'a fait le pharaon. La signification qu'il en donne est celle d'un message prophétique annonçant qu'une terrible famine va s'abattre sur le pays. Sept années de récoltes surabondantes seront suivies par sept années de sécheresse et de pénurie alimentaire.

            Le roi est immédiatement convaincu, et en reconnaissance il élève Joseph au rang de premier administrateur du pays, en charge de gérer la crise économique annoncée. Joseph s'acquittera brillamment de cette tâche en faisant emmagasiner d'importantes réserves de nourriture. Pendant les années de famine, ses entrepôts fournissent du blé à l'Egypte et aux pays voisins. Il retrouve ses frères venus acheter des provisions, leur pardonne et les invite à s'installer durablement en Egypte. La famille de Joseph et ses descendants demeureront dans le pays pendant plus de quatre siècles (Gn. 37-50).

            Ce merveilleux récit qui termine le livre de la Genèse a suscité des recherches historiques et archéologiques visant à en retrouver les traces. Loin de prouver la réalité du récit, les résultats de ces travaux se limitent à quelques points de comparaison intéressants entre les versets bibliques et la société égyptienne antique. Face à ce manque de preuves, beaucoup d’érudits actuels considèrent que le texte est une création littéraire tardive. Cependant les comparaisons sonnent juste quant au contexte, et indiquent que la culture égyptienne a bel et bien influencé la rédaction du récit.

 

Les patriarches en Egypte et l'archéologie

 

             Un premier indice est constitué par une peinture murale célèbre qui illustre le mode de vie des nomades du désert à l'époque pharaonique. Près du village de Beni Hassan en Moyenne-Egypte, sur la rive est du Nil, la tombe rupestre du fonctionnaire égyptien Khnoumhotep II porte sur ses parois l'image d'une caravane de bédouins, dont l'aspect physique tranche avec celui des personnages égyptiens qui l'entourent. Les visiteurs sont habillés de tuniques en toile rayurée, équipés d'armes et accompagnés d'ânes et de chèvres chargés de bagages.

            L'inscription hiéroglyphique qui complète l'image désigne les bédouins par le mot « Aamou », un terme égyptien qui définit les peuples asiatiques de l'Est. Elle précise que ce groupe de trente-sept nomades apporte du fard pour les yeux et qu'il se rend auprès du fils de Khnoumhotep. Le nom ou le titre de leur chef, Heka Khase Abish, peut se traduire par « prince du pays des montagnes de Abish » [1].


 



Tombe de Khnoumhotep II à Beni Hassan.
(jesuswalk.com
)



           

            Cette peinture est auto-datée de l'an 6 du règne de Sésostris II, c'est-à-dire d'environ 1900 av. J.-C., une date plutôt antérieure à l'époque des patriarches bibliques. Il est tentant de faire un lien contextuel entre ces bédouins et les personnages de Joseph et de ses frères, et même d'Abraham qui fit un bref séjour en Egypte (Gn. 12, 10). Ce document illustre le mode de vie des nomades au temps des patriarches, qui paraît n'avoir pas changé depuis des millénaires.

            Le cadre historique de l’histoire de Joseph est difficile à préciser. Le roi d'Egypte est appelé « Pharaon », mais son nom propre n’apparaît pas. En revanche, le texte contient d'autres indices précieux. Par exemple, lorsque Joseph devient vice-roi d’Egypte, il est doté de vêtements de lin, revêtu du collier d’or, porte la bague du pharaon et parcourt l’Egypte sur un char d’apparat aux côtés du roi, symboles typiques du pouvoir pharaonique (Gn. 41, 42-43).

            Un autre verset de la Genèse contient également des noms et des titres d’origine incontestablement égyptienne : « Pharaon appela Joseph Tsaphnath-Panéach, et lui donna pour femme Aséneth, fille de Potiphar, prêtre de On » (Gn. 41, 45). Le nom du dignitaire Potiphar peut en effet s'assimiler à l'expression Pa-di-pa-Râ qui signifie « celui qui donne Râ ». Potiphar est en outre présenté comme étant « prêtre de On », une référence probable à la cité égyptienne d’Onou vouée au culte du soleil (Râ) et plus connue sous le nom d’Héliopolis. De même, l’épouse de Joseph s'appelle Aséneth, un prénom qui peut se traduire par « suivante de la déesse Neith ». Enfin, le titre honorifique attribué à Joseph par Pharaon, Tsaphnath-Panéach, signifie vraisemblablement « le dieu a dit qu'il vivrait » [2]. Cette dernière expression contient d’ailleurs une subtilité remarquable : sa référence à une divinité anonyme (« le dieu ») omet toute déité égyptienne et donc païenne, conformément au monothéisme biblique (Gn. 41, 45).






La stèle de la famine à Eléphantine.
(image : http://www.narmer.pl/map/asuan_en.htm)



            L'histoire de Joseph n'a laissé aucune trace connue dans la littérature égyptienne antique. En marge de cette absence il faut toutefois relever un texte hiéroglyphique étonnant, quoique anachronique, gravé sur un bloc de granite de la petite île de Sehel, au sud d'Assouan. Ce rocher connu sous le nom de « stèle de la famine » porte un décret émanant du pharaon Djoser, l’un des tout premiers rois d'Egypte. En réalité l'inscription est beaucoup plus tardive et ne date que de l'époque grecque (ou ptolémaïque, IIIe siècle av. J.-C.). Le texte parle d'une famine désastreuse ayant duré sept ans, au cours de laquelle le pharaon aurait vu en rêve le dieu Khnoum lui annonçant la fin imminente du fléau. A son réveil, le monarque célèbre une fête pour remercier le dieu et instaure un impôt destiné à financer son culte. Les points communs avec l'histoire de Joseph (famine de sept ans, songe royal d'inspiration divine, levée d'impôt) suggèrent une probable influence de la tradition biblique chez les rois d'Egypte de l'époque grecque.           


Dater l'histoire de Joseph

 

            Dans l'hypothèse où la saga de Joseph en Egypte peut avoir une place dans l'Histoire, elle est difficile à dater et les diverses propositions de dates avancées par les historiens de la Bible sont incertaines. L’absence du nom du pharaon dans le texte laisse planer le mystère sur le contexte politique.

            On place le plus souvent l'arrivée de Joseph en Egypte vers la fin du Moyen Empire égyptien, ou plutôt durant la « deuxième période intermédiaire », une époque troublée de l'histoire égyptienne qui sépare le Moyen Empire du Nouveau, approximativement entre 1700 et 1550 av. J.-C. C'est le temps où des populations asiatiques investirent le delta du Nil et prirent le pouvoir dans cette région en s'attribuant le titre de rois. Ces envahisseurs appelées Hyksos (heka khasewet, chefs des pays étrangers) établirent leur capitale à Avaris, dans l'Est du delta, et s'efforcèrent d'adopter la culture et le mode de vie égyptiens. Ils furent finalement chassés d'Egypte par les princes thébains qui restaurèrent l'indépendance du pays.





Scarabée hyksos.
(bibleandscience.com)

       


            L'hypothèse de l'arrivée de Joseph en Egypte à l'époque des Hyksos trouve plusieurs justifications. La nomination d'un ministre sémitique à la cour d'Egypte est moins inconcevable sous un régime d'occupation étrangère d'origine proche-orientale. L'absence d'archives égyptiennes mentionnant un vice-roi nommé Joseph peut s'expliquer par le manque cruel d'informations disponibles sur cette période, censurée par les successeurs et ennemis des Hyksos.

            Un argument économique avancé est la somme versée pour la vente de Joseph par ses frères : cent talents d'or (Gn. 37, 28), un montant qui correspond effectivement au prix moyen des esclaves lors de la première moitié du second millénaire av. J.-C. ; il devait monter à deux cents talents à la fin du second millénaire, puis à cinq cents au cours du premier.

            Un indice matériel figure dans l'un des derniers versets de la Genèse, où il est précisé que le roi d'Egypte permit à Joseph d'aller enterrer son père Jacob en Canaan « avec des chars et des cavaliers » (Gn. 50, 9). Or l'introduction du char en Egypte remonte précisément au temps des Hyksos : cet élément fait de la seconde période intermédiaire une limite antérieure pour l'entrée en Egypte de la famille de Jacob.







Char êgyptien du Nouvel Empire
(news.discovery.com).



            Il serait risqué de tenter d'être plus précis, et pourtant on doit citer un témoignage peu connu figurant dans un texte de l'Antiquité tardive et attribué au prêtre égyptien Manéthon (IIIe siècle av. J.-C.). Cet auteur qui composa la première histoire de l'Egypte avance le nom du souverain qui aurait connu Joseph : ce serait Apopi Ier, ou Apophis, un roi hyksos de la XVe dynastie qui régna de 1580 à 1540 environ [4][5]. Le document, connu indirectement par l'historien byzantin Georges le Syncelle, contient les mots suivants :

          « Certains disent que ce roi (Apopi) était au début appelé Pharaon, et que dans la quatrième année de son règne Joseph arriva en esclave en Egypte. Il nomma Joseph seigneur d'Egypte et de tout son royaume, dans la dix-septième année de son gouvernement, ayant appris de lui l'interprétation des rêves et ayant ainsi prouvé sa sagesse divine ».

          



Cartouche du roi Apopi-Ouserrê
(en.wikipedia.org).

 

Tête supposée du roi hyksos Apopi
(clfrancisco.com).






            Le peu de renseignements dont nous disposons sur ce roi viennent d'un document littéraire, une sorte de poème inscrit sur le papyrus Sallier du British Museum. On y lit que c'est Apopi qui déclencha la guerre fatale contre les Egyptiens du Sud, lors d'une provocation étrange et maladroite : il reprocha aux princes thébains de laisser leurs hippopotames faire du bruit la nuit et l'empêcher de dormir ! Mal lui en prit, car cette guerre fut perdue par son successeur Khamudi et se termina par l'expulsion des Hyksos du territoire égyptien.

            Le problème est que Manéthon confond ensuite la guerre d'indépendance égyptienne contre les Hyksos avec la libération des Hébreux conduits par Moïse, deux évènements incontestablement différents et qui rendent de ce fait l'information très incertaine.




 
Cartouche du roi hyksos Yakub-Her
(en.wikipedia.org).



            Des traces substantielles du royaume hyksos ont été trouvées dans les murs de son ancienne capitale, la cité d'Avaris, aujourd'hui identifiée à l'actuel site archéologique de Tell el-Daba. Implantée sur une branche du Nil dans l'Est du delta, la ville était puissamment protégée par une épaisse muraille. Ses fouilles ont livré, entre plusieurs niveaux d'occupation, une couche de culture typiquement syro-palestinienne, contenant des traces de combats et d'un incendie destructeur : sans doute signent-elles la prise de la ville par les Egyptiens du Sud. De nombreux petits scarabées trouvés sur place portent les noms de plusieurs rois hyksos, parmi lesquels figurent ceux de Yakub-Her et Yakob-Aam [6]. La ressemblance évidente entre ces noms et l'anthroponyme Jacob suggère une proximité culturelle ou ethnique commune, et confirme l'origine sémitique de ces occupants.

La possibilité que le patriarche Joseph soit entré en Egypte à l'époque des Hyksos est toujours débattue. D'autres solutions ont été envisagées, notamment une chronologie plus haute situant la vie de Joseph sous le Moyen Empire, peut-être durant la XIIe dynastie (v. 1991-1786 av. J.-C.). Mais l'hypothèse des Hyksos reste encore la moins floue pour les biblistes conservateurs. A l'opposé, une majorité d’historiens estime aujourd’hui que ce récit est seulement un conte imaginaire ou un texte d’édification religieuse.









Références :

[1] - T. Gembaza :"A new historical hypothesis for the presence of Hebrews in Egypt"(antiqua91.fr).
[2]
- Y. Volokhine : "L'Egypte et la Bible : histoire et mémoire. A propos de la question de l'Exode et de quelques autres thèmes". Bulletin de la Société d'Egyptologie, Genève 24 (2000-1).
[3] - J.C. Brinette : "Imhotep : Témoignages sur trois millénaires. Stèle dite de la famine - Ile de Séhel" (historel.net).
[4] - "Genesis - Genesis 37-50 - The story of Joseph" (bibleandscience.com).
[5]
- J. Guilleux : "XVème dynastie. v. 1663-1530. Hyksos (Avaris)" (antikforever.com).
[6]
- O. Vendel : "Second Intermediate Period (SIP). Dynasties 15-17 c. 1655 - 1547 BC (108 years). A century of foreign rule" (nemo.nu).








La suite : Sous le joug des pharaons

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