|
Au milieu des années 1950, un ouvrage édité en français sous le titre de « La
Bible arrachée aux sables » mettait en parallèle les récits contenus dans
la Bible avec les résultats des fouilles archéologiques conduites au
Proche-Orient. Son auteur, un journaliste scientifique allemand du nom de
Werner Keller, avait fréquenté les bibliothèques de nombreux pays et consulté des
publications scientifiques ayant trait à ce thème, pour accomplir un travail de
synthèse bibliographique fondé sur une abondante documentation.
L'ouvrage
rédigé dans un style narratif et convivial contenait une richesse
d’informations ainsi rendue accessible au grand public. Il illustrait en
particulier de manière frappante la crédibilité historique des récits de
l'Ancien Testament. L’Histoire biblique voyait son contenu corroboré par de
nombreux vestiges sortis de terre.
Cinquante ans après
l’ouvrage de Keller, une nouvelle synthèse fut publiée sur le même sujet :
« La Bible dévoilée », œuvre de l’archéologue Israël Finkelstein et
de l’historien Niels Silberman. La thèse défendue par cette publication, qui
s'appuyait sur des résultats de fouilles archéologiques plus récentes, était
diamétralement opposée : selon ces auteurs, l’essentiel des vestiges
exhumés au Proche-Orient ne concordait pas avec les récits bibliques. Par
conséquent, la plupart des textes de l'Ancien Testament, en particulier de ses premiers
livres, véhiculaient majoritairement des légendes qui avaient été inventées, ou
du moins très exagérées, à une époque tardive. L’essentiel du contenu biblique
n'avait donc plus sa place dans l'Histoire.

Gilgamesh, héros d'un conte sumérien. Ce
récit
présente des similitudes avec le Déluge de la
Genèse
(encarta.msn.com).
Le
contraste entre ces deux positions éveilla notre curiosité et suscita le désir
d'en avoir le cœur net. Etait-il possible de vérifier par soi-même dans quelle
mesure la classique « Histoire sainte » était confirmée ou non par l’archéologie
? Un attrait croissant pour ce thème nous incita à entamer une recherche
documentaire à titre personnel.
Cette
enquête débuta à peu près au moment de la généralisation de l’accès à
Internet, outil prodigieusement efficace qui arrivait à point nommé
pour accéder
à des informations précieuses sur les fouilles terminées ou en cours.
La recherche
documentaire fut également facilitée par le contexte de mon activité
professionnelle,
qui s’exerçait dans la technique instrumentale auprès d’un laboratoire
de
recherche en sciences de la Terre et de l’environnement. Cette
discipline ayant
quelques connexions avec les sciences humaines, comme la géomorphologie
et
l'archéologie, elle facilitait l'accès aux publications spécialisées et
à une
quantité impressionnante d'informations peu connues. En complément, des
voyages effectués en Orient furent l'occasion de visiter quelques sites.
En
amont des débats en cours sur les résultats des fouilles et leur
interprétation, il nous faut revenir un instant sur histoire de l'archéologie au Proche-Orient,
et constater que c'est d’abord une belle aventure humaine. Elle se déroule
dans ce que l'on a appelé le « croissant fertile », cette sorte d’immense
oasis en forme d'arc de cercle géographique et qui comprend essentiellement la
Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et l’Egypte. C'est dans ce cadre que s'est
déroulée la plus célèbre des histoires anciennes qui appartient au fonds
culturel et religieux de notre civilisation.

L'Orient ancien et le croissant fertile
(historyweb.fr).
L’exploration
archéologique de l'Orient a véritablement commencé au temps de la campagne
militaire de Bonaparte en Egypte en 1798. L’expédition conduite par le futur
empereur était accompagnée par une commission de savants qui étudièrent tous
les aspects du pays et en firent des relevés détaillés. Le résultat de leur
important travail fut publié en Europe sous la forme d’une monumentale série
d'ouvrages, la "Description de l’Egypte", qui occupait vingt-trois
volumes. Sa publication connut un succès retentissant et suscita auprès du
public un vif intérêt pour les monuments de l’Egypte et de l’Antiquité
orientale en général.

Frontispice de l'une des premières éditions
de la "Description de l'Egypte"
(pousse-toidemonsoleil.eklablog.com).
Il en résulta dans les
années suivantes une floraison de vocations d’archéologues, qui partirent à leur
tour explorer les monuments en ruines du Proche-Orient. De grands chantiers de
fouilles furent ouverts dans les pays concernés par les anciennes civilisations
et les récits de la Bible. Des résultats spectaculaires furent rapidement
obtenus et firent naître un véritable engouement. On créa sur place des
instituts spécialisés comme la Palestine
Exploration Fund (1869), l’Ecole biblique et archéologique française de
Jérusalem (1890), la Deutsche Orient
Gesellschaft (1898) et les American
Schools of Oriental Research (1900). De leur côté, les pays d’accueil
fondèrent eux aussi leurs propres instituts, à l’image des universités de
Jérusalem (1925), de Tel Aviv (1956) et de Haïfa (1967) qui participèrent aux
explorations. A cette époque, on avait tendance à vouloir vérifier la véracité
des textes religieux sur leur propre terrain, « la Bible dans une main et
une pioche dans l’autre », cherchant ainsi à prouver que la Bible avait
raison, comme le déclarait le livre de Keller qui reflète bien l’esprit du
temps.

Une figurine
égyptienne
représentant un chameau
(digitalegypt.ucl.ac.uk).
Au cours de la seconde moitié du XXe
siècle cependant, un changement se dessina chez une majorité d’archéologues, qui
optèrent progressivement pour une approche plus neutre. L’objectif fut plutôt
désormais d’étudier l'Orient antique dans son ensemble, reléguant la question
biblique à un rang secondaire, voire même suspect. L’ « archéologie
biblique » fut dénoncée comme incompatible avec une science qui se voulait
désormais objective et sans a priori.
Cette nouvelle démarche est bien exprimée dans le livre de Finkelstein et
Silberman. En conséquence de cette nouvelle orientation, la crédibilité de la
Bible devait en ressortir inévitablement affaiblie. Pour cette raison, ceux qui
interrogent aujourd'hui l'archéologie sur « l’historicité » de la
Bible se trouvent parfois déçus ou déconcertés.
Pourtant
l’enquête sur les liens entre l'archéologie et la Bible se révèle encore productrice.
Les fouilles sur des sites « bibliques » se poursuivent, et les
découvertes archéologiques ayant trait à ce thème se succèdent encore à un bon
rythme. Mais c’est plutôt l'interprétation des données qui fait débat. Et
lorsque les résultats semblent correspondre au récit, ils font souvent l'objet
de grandes réserves et sont diffusés moins largement qu’auparavant ; l'information
tend à passer de ce fait davantage inaperçue. C’est pour tenter de remédier à
cette difficulté que l’idée a germé de présenter ici quelques éléments dans un
document accessible à tous.
Notre fil conducteur sera
la chronologie narrative des textes, de la Genèse à l’Apocalypse, avec pour chaque
étape une référence aux résultats des fouilles. Nous avons mis l’accent – pour l’attrait
du récit – sur les circonstances parfois anecdotiques de telle ou telle
découverte. Mais il faut se représenter la recherche de terrain
comme un travail habituellement long et des résultats rarement spectaculaires.

Un chantier de fouilles en action
(actualitechretienne.wordpress.com).
Dans le contexte actuel, on peut s’interroger sur
l’utilité réelle de la présente démarche. Parler d'archéologie dans un Proche-Orient
aujourd’hui déchiré par le conflit israélo-palestinien n'est pas sans
implications politiques, car il arrive que les résultats des fouilles soient
utilisés par l'un ou l'autre camp pour légitimer des revendications
territoriales. Le risque est alors d'alimenter le conflit en prenant parti. Là
n'est pas notre objectif, et l'on verra plutôt dans l'espoir d'un hypothétique
retour du « processus de paix » une proposition cohérente avec
l'idéal de la pensée chrétienne. Plus récemment, l’expansion de l’Etat islamique
a eu des conséquences directes sur certains sites antiques qui sont pillés ou
détruits. Cette grave situation justifie encore davantage la mise en valeur de cet
important patrimoine en danger.
Si la recherche de traces
archéologiques des récits de la Bible n'a pas de motivations politiques, elle
peut répondre à des aspirations d'ordre spirituel. On pourra certes objecter
que le débat religieux se situe à un niveau différent, celui de la foi qui
procède d'un choix personnel. Dans la relation complexe entre science et
religion, il n'est plus question de vouloir prouver absolument un ensemble de
faits qui relèvent de la foi. La recherche de preuves pourrait être perçue
comme une contrainte intellectuelle, alors que les croyances ne doivent pas
s'imposer mais respecter le libre-arbitre de nos consciences.
En définitive, quelle
conclusion pourrait émerger de la présente synthèse ? Certes, l'existence
de plusieurs écoles de pensée rend la réponse dépendante de l’appréciation
personnelle de chacun ; mais de notre point de vue il semble que la Bible
a conservé une part non négligeable de sa crédibilité, même si tout n'est pas
résolu et si de nombreux problèmes persistent.
Au demeurant, s’il n’y a pas de preuves formelles,
il existe incontestablement une multitude d'éléments de terrain, plus ou moins
convaincants selon les cas dans leur relation avec le monde biblique. Qui sait si
Dieu ne nous invite pas à nous mettre en chemin en suivant avec intérêt cette
piste ? En ce sens, on citera simplement une parole de Jésus-Christ : « Cherchez, et vous trouverez
... »

Le symbole d'une quête sans fin : le Saint-Graal.
Reconstitution imaginée
pour le cinéma
(indianajones.wikia.com).
|
|