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Le jardin d'Eden, ou Paradis terrestre : si l'on en
croit le
début de la Genèse, le premier des livres qui constituent la Bible,
c'est
le lieu
mythique où Dieu plaça le premier couple d'êtres humains à l'issue
d'une création
du Monde opérée en six jours. C'est dans ce jardin qu'Adam et Eve
auraient vécu
jusqu'à ce qu'ils commettent le péché originel, en consommant le
produit de
l'arbre interdit proposé par un serpent, se condamnant par voie de
conséquence
à en être chassés par le Créateur (Gn. 1-3).
Ce
récit
traditionnel, dont
l'auteur et les conditions de composition sont inconnus, fait partie du
fond culturel de notre civilisation. On considère aujourd'hui
qu'il n'est plus à prendre "au pied de la lettre" mais dans sa
dimension symbolique et spirituelle ; de ce fait le jardin d'Eden
échappe à
toute approche concrète, et on imagine un lieu abstrait et mystérieux,
situé quelque part entre Ciel et Terre et qu'il serait vain de chercher
à
localiser.

Adam
et Eve figurés dans une catacombe romaine
(bible-archaeology.info).
Cependant
un
groupe de chercheurs
a récemment exploré une piste inédite et encore peu connue, mais
susceptible
d'apporter un regard original sur l'épisode du Paradis perdu.
Leur
travail a
consisté à se
pencher sur un court extrait du texte qui semble contenir quelques
informations sur l'emplacement géographique du jardin (Gn. 2, 8-14). Ce
paragraphe présent dans
toutes les Bibles passe généralement inaperçu chez la plupart de
ses lecteurs. Pourtant son examen attentif a donné lieu à
une étude
scientifique dont les résultats sont aussi surprenants que peu connus.
Quatre fleuves qui convergent
Les
versets dont il s'agit se trouvent au début du livre de la Genèse,
juste après
l'épisode de la création de l'homme. Ils décrivent le jardin en donnant
des
indications détaillées, plaçant en effet
le
jardin idéal à proximité de quatre fleuves (Gn. 2, 8-14) :
"Puis l'Eternel Dieu planta un jardin
en Eden, du côté de
l'Orient, et il y mit l'homme qu'il avait formé. L'Eternel Dieu fit
pousser du
sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et
l'arbre
de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et
du mal.
Et un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin et de là il se
divisait et
devenait quatre sources de fleuve. Le nom du premier est Phison ; c'est
lui qui
entoure tout le pays de l'Havila où il y a de l'or. Et l'or de ce pays
est
excellent, là il y a aussi le bdellium et de la pierre d'onyx. Le nom
du second
fleuve est Gihon ; c'est lui qui entoure toute la terre de Cousch. Et
le nom du
troisième fleuve est le Tigre ; c'est lui qui coule à l'Orient d'Assour
;
et le quatrième fleuve, c'est l'Euphrate."
Les
tentatives
d'identification
de ces quatre fleuves ont constitué la clef de ce travail sur le jardin
biblique. Il est d'abord facile de reconnaître le Tigre et
l'Euphrate,
dont la référence renvoie à la région bien connue de la Mésopotamie.
Mais qu'en
est-il des deux autres ? Jusqu'à présent quelques biblistes et auteurs
classiques avaient tenté de les identifier. Ainsi, on a supposé que le
Gihon devait
être le Nil, et que le Phison pouvait s'assimiler à l'Indus ou au
Gange. Cette
solution est peu satisfaisante, car ces quatre fleuves sont très
éloignés et ne
se rejoignent pas. Une impression de flou a donc prédominé
jusqu'à
ces dernières années. Mais depuis peu, de nouvelles données sont venues
bousculer notre vision imprécise de la question.

Carte de l'Orient ancien
(galaxie.com). | 
L'embouchure
du golfe Persique.
Carte satellite
(lettrealepouse.free.fr). |
Une
étude
remarquable, publiée en
1983 par l'archéologue américain Juris Zarins, de l'Université du
sud-ouest de
l'Etat du Missouri, propose une solution assez cohérente pour localiser
les
fleuves du jardin d'Eden [1][2]. Son
approche pluridisciplinaire, surtout géographique, lui a permis de
formuler le
schéma suivant.
Il
faut d'abord
considérer les
ressources naturelles citées dans le texte de la Genèse. On soupçonne
depuis
longtemps la terre appelée Havila, plusieurs fois citée dans la Bible,
de s'apparenter
à une région du cœur de l'Arabie saoudite qui recèle d'importantes
ressources
en or : les montagnes du Hedjaz. Exploité dès l'Antiquité, le secteur
de ces
mines d'or s'appelle aujourd'hui Mahd adh Dhahab (littéralement "le
berceau d'or"), et de nos jours encore, le métal précieux de cette
région
est exploité par les Saoudiens.
Les
autres
produits naturels cités
dans le texte sont loin d'être inconnus dans cette région. Le bdellium
est une
résine dont l'arbre poussait durant l'Antiquité essentiellement en
Arabie du
Sud. Quant à l'onyx, il peut s'agir d'une forme de calcédoine, une
pierre
précieuse que l'on trouve également à Madh adh Dhahab.

Situation
de l'ancien
fleuve
wadi
al
Batin en
Arabie saoudite
(lettrealepouse.free.fr).
Le
lien s'est
précisé lors de la
découverte d'un fleuve fossile qui traversait cette région dans les
temps anciens,
et rejoignait le Tigre et l'Euphrate. Lorsqu'en 1992 le géologue
égyptien
Farouk El-Baz, de l'université de Boston, examina les dommages causés
par la
mise à feu des puits pétroliers à la fin de la première guerre du
Golfe, il
découvrit par hasard le lit asséché d'un fleuve disparu qui devait
traverser
l'Arabie. Son tracé part précisément des monts du Hedjaz, dans l'ouest
de l'Arabie,
pour traverser toute la péninsule en direction du nord-est et du golfe
Persique. Il longe ensuite l'Etat du Koweit avant de rejoindre
l'extrémité du
Golfe non loin de Bassorah. Ce cours d'eau disparu empruntait un vallon
appelé aujourd'hui
wadi al Batin, habituellement à sec sauf en cas d'orages aussi rares
que
violents.
Les
techniques
d'observation actuelles
fournies par la télédétection spatiale ont permis de confirmer ce
constat. Les images
prises par le satellite Landsat ont permis à Farouk El-Baz de
déterminer que ce
lit asséché drainait jadis l'eau d'un fleuve permanent qui traversait
l'Arabie
et se jetait dans la région du Tigre et de l'Euphrate [3]. Le
centre de l'Arabie devait être au IIIème millénaire avant notre ère une
région
fertile irriguée par le fleuve disparu. De plus, le géologue constata
que le
fleuve coulait aujourd'hui encore probablement en souterrain sous le
lit asséché.
Dans l'Antiquité, il devait prendre sa source à proximité de Madh adh
Dhahab et
rejoindre le Tigre et l'Euphate conformément à ce qui est écrit dans la
Genèse.
Par conséquent, l'ancien fleuve qui suivait le tracé du wadi al Batin
est un
bon candidat pour s'apparenter au Phison de la Bible.

Les
rives
et la plaine de l'Euphrate
(mikulastik.net/sy). | 
Une
palmeraie en Irak. |
Qu'en
est-il du dernier fleuve appelé le Gihon ? Au nord de la Mésopotamie,
plusieurs
rivières descendent les pentes accidentées de la montagne du Zagros
iranien et viennent
rejoindre le Tigre. Parmi elles, le Karun et le Karkheh serpentent et
atteignent la plaine au niveau du confluent du Tigre et de l'Euphrate.
L'un des
deux pourrait-il être le Gihon de la Genèse ?
Le
Karun
rejoint le Tigre près de
la jonction des grands fleuves. Légèrement plus en amont, le Karkheh
pourrait lui
aussi correspondre au Gihon, d'autant plus qu'il traverse un pays
anciennement
appelé Elam, dont la capitale était Suse (aujourd'hui Shush) [4]. Il
peut s'agir du pays biblique de Cousch, que le Gihon est sensé
contourner. Or c'est
exactement ce que fait le Karkheh, qui fait une boucle autour de
l'ancienne
région des Kassites.
Les
commentaires de nos Bibles
classiques assimilent le pays de Cousch à l'Ethiopie ; mais une étude
du docteur
E.A.
Speiser, de l'université de Pennsylvanie, a récemment permis d'établir
qu'il y avait
là
une erreur de traduction, et que le mot "Cousch" correspondait en
fait à la terre de Kashushu, une région de l'ancienne Suse où vécut
précisément
le peuple des Kassites au IIème millénaire avant notre ère [5]. Dans
l'esprit des auteurs de la Genèse, la terre de Cousch aurait donc
désigné le
pays des Kassites, région implantée à l'est de la Mésopotamie et
irriguée par
la rivière Karkheh.

La
rivière Karkheh
(where-is-iran.com).
Ainsi,
il
semble que le Tigre,
l'Euphrate, le Wadi Batin et le Karkheh puissent correspondre aux
quatre
fleuves cités dans la Genèse. Ils convergent tous vers la même région
de l'extrémité
du Golfe Persique. Le niveau des mers était à l'époque probablement
plus bas
qu'aujourd'hui, la ligne de côte du golfe était plus au sud-est,
laissant plus
de place à la plaine terminale des quatre fleuves.
De
tous ces
éléments il ressort
que le fameux jardin biblique pourrait se placer près de l'embouchure
de cette plaine
fluviale. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Références :
[1] - D. J.
Hamblin : "Has
the Garden of Eden been located at last ?". Smithsonian
Magazine, Vol.
18 No. 2, May 1987 (theeffect.org).
[2] - D. Fischer : "A place in history Adam and Associates"
(genesisproclamed.org).
[3] - J.A. Sauer :
"Ther River
Runs Dry – Biblical Story Preserves Historical Memory". Biblical Achaeology Review, 22 (4) 1996,
57. Cité par D. Fischer.
[4] - Schoenel, "La
semence du serpent" (lettrealepouse.free.fr).
[5] - G. Roux : "La
Mésopotamie". Seuil, Paris 1995.
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