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L'Histoire  s'écrit

à Sumer





















        Que le mythe biblique du Paradis terrestre ait ses origines en Basse Mésopotamie, l’idée n’est pas nouvelle, et elle doit être mise à l’épreuve des données archéologiques. Dans les pays du Proche et du Moyen-Orient, le matériel archéologique ne manque pas, car de multiples campagnes de fouilles conduites dans cette région du monde ont livré des quantités incalculables de vestiges, témoins de la grandeur d’une civilisation disparue depuis des millénaires.

        Les premières fouilles réalisées en Irak furent dirigées en 1842 par Paul-Emile Botta, consul de France à Mossoul, et en 1845 par l’archéologue Austen Henry Layard. Les résultats furent tout de suite spectaculaires, et suscitèrent bien d’autres expéditions ultérieures. On creusa dans de nombreux tells, ces collines du désert constituées de ruines ensablées, et des milliers d’habitations et de monuments apparurent, révélant ainsi l’existence passée de véritables villes.

        Palais, temples, fortifications, grandes tours à étages en terrasses, aménagements urbains, statues et bas-reliefs sortirent peu à peu des sables. Ces ouvrages de brique et de pierre témoignaient de la splendeur d’une puissante civilisation totalement oubliée. A mesure que ces richesses étaient mises au jour, la masse gigantesque des informations qui en furent tirées permit de reconstituer les grands traits de la culture de ce monde disparu.

   




Statue sumérienne
 représentant un homme priant

(en.wikipedia.org).


Tablette d'écriture primitive
datant d'environ 3000 av. J.-C.
(en.wikipedia.org).



Les temps protohistoriques

 

        Il est ainsi apparu que la Mésopotamie, ou Chaldée, était le véritable berceau de la civilisation humaine, en tant que société organisée à l’échelle d’une ville ou d’une région. A la fin de la Préhistoire, dans les derniers millénaires avant notre ère, cette révolution sociétale s’est faite au sein d’un ensemble de peuples qui occupaient les rives du Tigre et de l’Euphrate.

        Mais qui étaient ces habitants qui furent à l’origine de cette transformation ? Aussi loin que l’on puisse remonter dans le passé, il semble que les communautés humaines de Mésopotamie n’aient pas toutes la même origine ethno-géographique. L’extrémité sud-est de la plaine alluviale, entre Nippur et le golfe Persique, était habitée par les Sumériens, un peuple dont les origines premières sont inconnues. En effet, l’étude de leur culture et de leur langue montre qu’ils n’étaient apparentés à aucun autre groupe connu. Un peu plus en amont, entre Bagdad et Nippur, vivait le peuple d’Akkad, que l’on peut affilier à la grande famille des Sémites car nous savons qu’il parlait une langue sémitique. Enfin, toute la partie haute de la vallée, jusqu’à la Syrie orientale, était occupée par diverses ethnies également assimilées à des Sémites.

        L’émergence progressive de la première civilisation urbaine commence durant ce que les archéologues appellent la « période prédynastique », ou « proto-historique », définie entre 6500 et 3100 environ avant notre ère [1]. Durant cette période, il ne serait pas tellement exagéré de dire que les Chaldéens ont tout inventé. Dans cette plaine très fertile, la pratique de l’élevage et de la culture des céréales s’étend, tandis que la vie citadine se met progressivement en place. La population issue des collines et des villages se concentre dans d’immenses cités. Les huttes font place aux maisons en dur, lesquelles se dotent de cours et d’étages. Les rues se tracent à angles droits et des temples imposants sont élevés. La vaisselle de terre cuite remplace celle de pierre, et la statuaire se développe. La roue, l’araire, la navigation et la voile apparaissent également à Sumer. A la fin de la période prédynastique, de véritables petits Etats sont constitués et organisés autour des grandes villes.



Carte de la Mésopotamie antique
(history.mcs.st-and.ac.uk).


L’apparition de l’écriture et l’aube de l’Histoire

 

            Vers 3300 av. J.-C., les habitants de Sumer opèrent l’une des plus grandes révolutions techniques jamais réalisées par l’homme : l’invention de l’écriture. Selon toute vraisembance, c’est dans la cité d’Uruk, en basse vallée de l’Euphrate, que la première forme d’écriture a vu le jour. L’idée d’écrire semble née d’un besoin de comptabiliser des biens d’agriculture ou d’élevage. Les premiers scribes traçaient des dessins dans des plaques de boue au moyen d’un outil, le calame, qu’ils enfonçaient dans l’argile fraîche. Les tablettes étaient ensuites séchées et cuites au soleil.

        La disposition des signes constituait une première forme de communication écrite, rudimentaire certes, mais qui ne tarda pas à évoluer. De figurative, elle devint de plus en plus abstraite afin d’exprimer des idées plus complexes, comme le fait une langue parlée. Autre changement, les traits prirent la forme de petits triangles, l’extrémité du calame devenant triangulaire, inaugurant la fameuse écriture dite « cunéiforme », c’est-à-dire en forme de coins ou de clous. La pratique de l’écriture cunéiforme se diffusa rapidement dans tout l’Orient ancien, de l’Indus à la Turquie, et allait perdurer jusqu’au début de notre ère.




Tablette cunéiforme
(freestockphotos.com).


Tablette cunéiforme
(sumerianshakespeare.com).




     A ce jour, des centaines de milliers de tablettes cunéiformes sont sorties du sol sous la pioche des archéologues. Lorsque les premières inscriptions furent découvertes, personne ne savait les lire, et ces documents auraient peu d’intérêt si des savants perspicaces n’avaient percé le secret de leur déchiffrement.

     L’écriture cunéiforme a été déchiffrée au cours du XIXe siècle, grâce aux efforts conjugués de plusieurs linguistes dont l’un des pionniers fut l’orientaliste britannique Henry Creswicke Rawlinson. C’est essentiellement grâce à une inscription monumentale trilingue, gravée en cunéiforme sur une haute paroi rocheuse de l’Ouest de l’Iran, l’inscription de Béhistoun, que le mystère de l’écriture cunéiforme a été percé. En 1835, Rawlinson y grimpa à l’aide de cordes et de planches pour l’examiner de près, suspendu au-dessus du vide ... C’est dans ces conditions acrobatiques que l’inscription fut patiemment recopiée pour être ensuite étudiée en laboratoire.


Bas-relief et inscription de Behistoun
(fr.wikipedia.org).



     Se fondant alors sur des recherches antérieures menées par le philologue allemand George Grotefend, Rawlinson réussit à lire les noms de deux rois perses : Darius et Xerxès. De fil en aiguille, comprenant que cette partie du texte était écrite en vieux perse, il parvint à la déchiffrer intégralement. Le principe de la lecture était syllabique, c’est-à-dire que chaque signe ou groupe de signes correspondait à une syllabe qui entrait dans la composition d’un langage structuré. Fort de ce succès, il déchiffra également les deux autres versions du texte, qui s’avérèrent être gravées en langues élamite et akkadienne. La clef de lecture était désormais acquise pour trois langues anciennes.

        En réalité, l’écriture cunéiforme avait servi à transcrire bien d’autres langues antiques, comme le sumérien, le hittite, l’ougaritique et l’ourartéen, qui furent durant les décennies suivantes déchiffrées les unes après les autres [2]. Ces progrès rendirent possible la traduction des innombrables tablettes d’argile exhumées sur les chantiers archéologiques. A mesure que ces documents parvenaient dans les musées, leur traduction était entreprise par des spécialistes formés à cette nouvelle discipline qu’était l’assyriologie. Ce travail, toujours en cours aujourd’hui, a permis de dévoiler progressivement l'histoire et la culture de cette civilisation oubliée.


La période dynastique archaïque

 

     Au IVe millénaire avant notre ère, les premiers écrits sur tablettes étaient essentiellement des documents comptables et administratifs. Les archives narratives et descriptives sont plus rares et présentent souvent des récits à caractère mythologique. L’un des documents les plus intéressants de cette catégorie est la « liste royale sumérienne », un ensemble de tablettes et de pierres inscrites qui énumèrent les noms des rois censés avoir régné sur le pays de Sumer depuis ses origines. L’exemplaire le plus complet de cette liste est le prisme de Weld-Blundell, une colonne de section carrée couverte de centaines de noms de rois sur ses quatre faces.

 

« Après être descendue du ciel, la royauté s’établit à Eridu. A Eridu, Alulim devint roi et régna pendant vingt-huit mille huit cents ans.

Alalĝar régna pendant trente-six mille ans. Ces deux rois ont régné pendant soixante-quatre mille huit cents ans.

Alors Eridu tomba et la royauté fut prise à Bad-tibira. À Bad-tibira, En-men-lu-ana régna pendant quarante-trois mille deux cents ans ... » [3]

 

Ainsi commence la liste royale sumérienne, qui nomme les tout premiers rois de Sumer en leur attribuant des longueurs de règnes totalement surréalistes. Le plus long de tous est celui d’En-men-lu-ana, qui aurait duré quarante-trois mille deux cents ans ! Ces documents, évidemment idéalisés, ne nous apprennent rien d’autre, sinon que pendant les règnes des neuf premiers rois, le pouvoir aurait changé cinq fois de capitale et qu’il se serait perpétué sur une durée de deux cent quarante et un mille deux cents ans ...






Liste royale sumérienne
(earth-history.com).



        Dans le souci d’établir une chronologie un tant soit peu réaliste, les assyriologues considèrent les premiers rois de Sumer comme plus ou moins légendaires, mais ils se servent de la liste comme fil conducteur narratif. La datation des vestiges archéologiques les a par ailleurs conduits à désigner les premiers temps de l’histoire mésopotamienne sous le nom de « période dynastique archaïque », qui dure à peu près de 2900 à 2340 av. J.-C. [4]. Celle-ci voit s’établir plusieurs petits royaumes politiquement indépendants, appellés des « cités-Etats » et dont les capitales ont pour noms Eridu, Kish, Uruk, Ur, Lagash, Nippur, Mari, Ebla ... Durant cette période, les structures administratives se renforcent et la culture sumérienne rayonne sur tout l’Orient. L’agriculture se développe grâce aux canaux d’irrigation, bénéficiant aux plantations d’orge et de palmier, et devenant la plus productive du monde ancien. La société est riche et très urbanisée.

        Eridu est l’une des plus anciennes villes sumériennes. Ses vestiges furent retrouvés à quelques kilomètres à l’Ouest de l’embouchure commune du Tigre et de l’Euphrate [5]. Fouillée essentiellement en 1949 par l'archéologue irakien Fuad Safar, la cité aurait eu très tôt une importance politique et religieuse de premier plan. Au milieu de la plaine alluviale, elle occupait sept collines et a livré pas moins de dix-neuf niveaux d'occupation, la couche archéologique la plus ancienne remontant au Ve millénaire avant notre ère. La cité possédait un temple monumental qui fut reconstruit treize fois, et dont le niveau le plus bas révéla la base d'un petit bâtiment rectangulaire entourant une simple table d’autel. Eridu a montré l’une des premières traces connues d’un culte religieux en Mésopotamie.




Le temple d'Eridu reconstitué
(goldenageproject.org.uk).


     C’est dans le Sud-Est que l’économie est la plus florissante. Les milliers de tablettes exhumées dans la plaine de Sumer ont révélé des structures étatiques puissantes. A côté des documents comptables, administratifs et commerciaux, quelques textes diplomatiques, littéraires, mythologiques et religieux nous renseignent sur la culture et la civilisation sumériennes.

        Pour avoir une idée du niveau de raffinement culturel atteint, il faut évoquer un site archéologique assez exceptionnel connu sous le nom de « tombes royales sumériennes ». Il fut découvert sur le lieu-dit de Tell el-Mukayyar, en Basse-Mésopotamie, et fouillé entre 1926 et 1932 par l’archéologue britannique Leonard Woolley. Au sein des vestiges d’une cité disparue sous les sables, et assimilée à la ville antique de Ur, un cimetière a livré un trésor dont le niveau de raffinement n’a rien à envier à celui de la tombe de Toutankhamon [6].





Entrée d'une
tombe royale sumérienne

(geocaching.com).


        Seize tombes constituées de petits bâtiments enterrés abritaient des personnage de haut rang, dont les dépouilles était parées de bijoux de grand luxe. Autour de l’une des tombes enfouies au fond d’un puits furent trouvés les corps de plusieurs dizaines d’autres personnes, manifestement sacrifiées et inhumées en même temps que leurs maîtres. Elles aussi avaient été parées et accompagnées d’objets d’une grande richesse.


Eléments de parure trouvés
dans une tombe royale sumérienne

(sumerianshakespeare.com).


        En plus de milliers de bijoux faits de diverses matières précieuses, on trouva des oeuvres d’art somptueuses, telles que de belles lyres en bois polychrome munies de têtes de taureaux en or, deux magnifiques statues de chèvres en or s’appuyant sur un buisson, ou un splendide coffre aux faces couvertes de mosaïques représentant des cortèges de personnages. Sur les huit noms de personnes trouvés sur place, seulement deux portent des titres royaux mais sont inconnus par ailleurs. Ces tombes fabuleuses, datées de la fin de la période dynastique archaïque, nous surprennent par le niveau de vie et les moeurs de cette époque ancestrale.            







Chèvre d'or trouvée
dans une tombe royale sumérienne

(wikipedia.org).


Lyre trouvée
dans une tombe royale sumérienne

(wikipedia.org).




Coffre en mosaïque
(wikipedia.org).

Résonances bibliques

 

     Les tablettes sumériennes nous parlent également des croyances et des pratiques religieuses de ce peuple. Chaque ville avait ses propres divinités, à côté de l’existence de dieux communs dont les plus importants se nommaient An (le Ciel, le dieu suprême), Enlil (l’air) et Enki ou Ea (le monde souterrain). Plusieurs mythes de création décrivent la conception que les Chaldéens avaient de l’Univers, vu comme une terre plate et circulaire entourée d’eau et posée sous une demi-sphère céleste [7].         

     Les documents mésopotamiens présentent des analogies occasionnelles avec les textes de nos Bibles. Ainsi lit-on sur une tablette que le sage Adapa, prêtre du dieu Enki à Eridu, est dissuadé par son dieu de prendre une nourriture rendant immortel [8]. Ou bien qu’un jardinier nommé Tagtug, proche du dieu Enki, est maudit pour avoir consommé un fruit du seul arbre défendu d’un jardin [9]. D’autre part, des ressemblances linguistiques s’observent aussi avec les noms bibliques. Le mot « Eden » existe en langue sumérienne (e-din) et signifie « plaine » ou « steppe » [10], tandis que le nom « Adam » peut se traduire par « homme » en ougaritique (adm) [11].

            En réalité, ces liens avec la Bible constituent des détails isolés au milieu de longs récits sumériens, et sont plutôt distendus et anecdotiques. Ces points de ressemblance laissent néanmoins envisager des emprunts entre les littératures religieuses sumérienne et hébraïque. Quoi qu’il en soit, il existe un cas précis où le rapprochement avec la Bible ne peut pas être contesté. Dans la liste royale sumérienne en effet, après les noms des neuf premiers rois de Sumer, une mention tout à fait insolite est insérée :


« Et le Déluge nivela tout ».


      Cette phrase pour le moins inattendue nous renvoie inévitablement au coeur du contenu du livre de la Genèse.










Références :

[1] - G. Roux : « La Mésopotamie ». Seuil, Paris 1995, p. 71-107.
[2] - L.-J. Calvet : "Histoire de l'écriture". Hachette Littératures, Paris 2008, p. 70.
[3] - The Sumerian King List. The Electronic Text Corpus of Sumerian Literature. http://etcsl.orinst.ox.ac.uk/cgi-bin/etcsl.cgi?text=t.2.1.1
[4] - G. Roux : « La Mésopotamie ». Seuil, Paris 1995, pp. 149-170.
[5] - C. Asensio, "Eridu", 30/1/2008. http://www.ezida.com/web/eridu.htm
[6] - L. Woolley : “Ur Excavations, Volume II : The Royal Cemetery – Text and Plates”. The Joint Expedition of the British Museum, 1934. A Report on the Predynastic and Sargonid Graves Excavated between 1926 and 1931.
[7] - G. Roux : « La Mésopotamie ». Seuil, Paris 1995, pp. 117-122.
[8] - P. Talon : “Le mythe d’Adapa”. Studi Epigrafici e Linguistici 7, 1990, pp. 43-57. http://www.sel.cchs.csic.es/sites/default/files/04talon_25b2fc7d.pdf
[9] - S. Langdon : “Sumerian epic of paradise, the flood and the fall of man”. University Museum, Philadelphia 1915, pp. 1-98.
[10] - A. Millard : “The Etymology of Eden”, Vetus Testamentum 34, 1984, pp. 103-106. Cité par : F. Mirguet : “La représentation du divin dans les récits du Pentateuque”. Brill, Boston 2009.
[11] - M.S. Smith : “The ‘Son of Man’ in Ugaritic,” CBQ 45, 1983, 59-60. Cité par : K. Pope : "Who Is This Son of Man?" Biblical Insights 12.6, June 2012, 12.
http://ancientroadpublications.com/Studies/BiblicalStudies/WhoIsThisSonofMan.html.










La suite : Le Déluge et les tablettes d'argile


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