Les chapitres 6 à 8 de la Genèse rapportent
le fameux récit du Déluge, d’après lequel Dieu irrité par la perversité
des
hommes décide d'éradiquer l'humanité en provoquant une inondation
totale. Un seul
homme au comportement irréprochable, Noé, est toutefois prévenu
divinement et
sauvé par la construction d'un grand navire dans lequel il fait
embarquer sa famille
et de nombreux couples d'animaux. Des pluies torrentielles s'abattent
alors sur
le sol et submergent tout, les eaux recouvrant les continents pendant
quarante
jours avant de commencer à s'assécher. Noé réfugié dans son Arche
cherche la
terre ferme en libérant trois fois une colombe jusqu'à ce qu'elle
trouve un lieu
où se poser. Enfin le navire s'échoue dans les montagnes de l'Ararat et
ses
occcupants en sortent indemnes.
L'histoire mythique du
Déluge ne fut connue pendant longtemps qu'à travers le récit qu'en fait
la Bible.
Cependant les travaux menés depuis deux siècles par les archéologues au
Proche-Orient ont bousculé cette unicité.
Une
découverte stupéfiante fut en effet réalisée à
la suite d'une des grandes campagnes de fouilles qui furent effectuées
en Irak au
XIXe siècle. Elle se trouvait sur l’une des innombrables tablettes
cunéiformes exhumées
dans les ruines ensablées des villes disparues.

Tablette
cunéiforme trouvée à
Nippur
(biblepicturegallery.com).
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Tablette
cunéiforme trouvée à
Babylone,
relatant un déluge en sumérien
(earth-history.com).
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Le déluge assyrien
En
1872, le jeune assyriologue George Smith participait
au British Museum au déchiffrement
des trente mille tablettes d'argile qui provenaient de la bibliothèque
du
palais du roi Assurbanipal à Ninive, capitale de l’ancienne Assyrie. Il
fut un
jour surpris de traduire un texte qui ressemblait étrangement au récit
biblique
du Déluge. Ce texte faisait partie d’un autre récit plus vaste,
« l'épopée
de Gilgamesh », une sorte de conte dans lequel le personnage
central était
un roi d'Uruk nommé Gilgamesh.
Alors que ce roi légendaire cherchait la recette de
l'immortalité, il rencontra un personnage nommé Utanapishtim qui lui
fit un
compte-rendu de l'histoire du Déluge. Utanapishtim déclara avoir
survécu à une
inondation gigantesque provoquée par l'assemblée des dieux dans le
dessein de
faire disparaître toute l'humanité. Il fut sauvé grâce à la
bienveillance d'un
seul dieu, Ea, qui lui fit construire un navire et s'y embarquer. Voici
les
extraits les plus significatifs de ce récit
[1][2] :
« (Le
dieu dit:) Homme de cette ville, démolis ta maison et
construis un bateau (...). Renonce à tes biens et sauve ta vie.
Embarque avec
toi un spécimen de chaque être vivant. Le bateau que tu vas construire,
sa
largeur et sa longueur doivent être semblables. Couvre-le d'un toit
(...).
Lorsque le bateau fut construit on procéda à son chargement en
attendant le
Déluge. (Utanapishtim parle:) Le soir du septième jour, le bateau était
achevé
(...). Je chargeai à son bord tout ce que j'avais de specimens
d'espèces
vivantes. Toute ma famille et ma parenté je fis monter sur le bateau
(...). A
la première lueur de l'aube, monta de l'horizon une sombre nuée (...).
Le
silence de mort de l'orage traversa le ciel et ce qui était lumineux se
changea
en ténèbres. Comme une bataille, le cataclysme passa sur les hommes
(...). Même
les dieux furent épouvantés par le Déluge, six jours et sept nuits
(...). Le
septième jour l'ouragan ralentit. Le déluge cessa. Tous les peuples
étaient
redevenus d'argile. Par la lucarne, la lumière du soleil tomba sur mon
visage.
Je me jetai à genoux et en pleurant, je cherchai les côtes, les rivages
de la
mer. Le bateau accosta sur le mont Nisir (...). Le septième jour je fis
sortir
la colombe : elle s'envola mais revint car aucun perchoir ne lui
était
offert. Je fis sortir l'hirondelle, elle revint. Je fis sortir un
corbeau, il
partit et voyant les eaux se retirer, il picora, voltigea et ne revint
pas vers
moi. Alors je fis une offrande et un sacrifice aux quatre vents ».

La
11ème tablette
cunéiforme trouvée à Ninive
(suffragio.it).
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Bas-relief
représentant
le roi Gilgamesh
(encarta.msn.com).
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A la
lecture de ce texte, Smith ne put contenir son
émotion. La ressemblance avec le récit biblique était si flagrante
qu’elle ne
pouvait pas être due au hasard. Lorsque la traduction de ce document
fut
publiée en Angleterre, elle produisit l'effet d’une bombe. On avait
trouvé une « confirmation
» archéologique d’un extrait de la Genèse ! La tablette d'argile
provenait
de la bibliothèque du roi d‘Assyrie Assurbanipal (668-626 av. J.-C.) et
datait donc
au moins du VIIe siècle av. J.-C.
Mais on allait vite réaliser que cette version
mésopotamienne du Déluge n'était pas unique, car d'autres documents
contenant un
récit similaire allaient se révéler.
Autres récits diluviens de
Mésopotamie
L’année
qui suivit la publication de la tablette de
Ninive en effet, George Smith fut envoyé sur les lieux de la découverte
afin qu’il
y retrouve les fragments manquants. Au lieu de cela, il y exhuma une
seconde
tablette faisant état du Déluge ! Cette version, plus succinte,
différait
sensiblement de la première, et son héros s’appelait Atrahasis, le
« super
sage ».
D'autres
versions du mythe diluvien furent également
découvertes par la suite. En 1900, des chercheurs de l’université de
Pennsylvanie exhumèrent à Nippur, une ville implantée au Sud-est de Babylone, une
tablette très déteriorée écrite en akkadien. Trouvée dans des ruines qui
occupaient une colline, elle fut traduite par l’Allemand Hermann Hilprecht et
s’avéra être encore un autre récit du Déluge semblable à celui de la Bible [4].
On
pense aujourd’hui que cette tablette date de la
première dynastie de rois de Babylone, c’est-à-dire d’entre 1850 et
1500 av.
J.-C. environ. Hilprecht notait déjà qu’elle était bien antérieure aux
tablettes
assyriennes de l’épopée de Gilgamesh, et en même temps plus proche du
texte de
la Genèse.
Un récit du Déluge en langue sumérienne figure
encore
sur une tablette exhumée en 1893, également à Nippur, lors d’une
expédition de
l’université de Pennsylvanie. Dans cette variante traduite par le
docteur Arno
Poebel en 1913, le personnage principal est un certain Ziusudra, roi de
Shuruppak [5][6]. Ce
texte était en outre précédé d'un récit de
création des hommes et de fondation des premières cités.
Tablette relatant une version babylonienne du
récit
du Déluge
(freestockphotos.com).
Un
document de nature quelque peu différente est la
« liste royale sumérienne », une série de dix-huit tablettes
d'argile
trouvées elles aussi dans les ruines de Nippur. On en découvrit par
ailleurs d’autres
exemplaires, dont le mieux conservé est le « prisme de
Weld-Blundell »,
un objet polygonal offert au musée d’Oxford [7].
Il
s'agit d'une énumération de rois sensés avoir
régné sur la région de Sumer et qui s'arrête vers 1800 avant notre ère.
Au
milieu de la liste, la phrase suivante s’insère de manière inattendue :
« Après que le Déluge eut tout nivelé,
la royauté s'établit à Kish ».
Une dynastie de rois semble avoir effectivement
régné à Kish vers 2900 av. J.-C., et une partie au moins paraît historique. Le
fait que le Déluge soit mentionné dans une liste de rois lui donne davantage de
crédibilité que les seules compositions littéraires.
Liste royale sumérienne
(hsumerianshakespeare.com).
En 1985 enfin, un collectionneur apporta à l’assyriologue
Irvin Finkel, du British Museum, une
tablette inscrite en sumérien qui relatait le Déluge mais surtout qui décrivait
en détail les caractéristiques de l’Arche [8][9]. Une structure circulaire, des parois faites de
tiges de bois recouvertes de bitume, un diamètre de soixante-sept mètres, un intérieur
compartimenté sur deux niveaux et un toit couvrant le tout : le navire était
une sorte d’immense panier flottant semblable aux embarcations légères encore appelées
« coracles ». Il était conçu pour accueillir des animaux, et ceux-ci
y entrèrent deux par deux, en couples, comme dans la Genèse ! La forme des
caractères de la tablette incita Finkel à la dater d’entre 1900 et 1700 av.
J.-C.

La tablette traduite par Irvin Finkel
(theblaze.com).
Tous ces éléments attestent que les anciens
Chaldéens possédaient dans leur mémoire le récit d'une inondation ancestrale catastrophique
et de grande ampleur. Mais comment interpréter le lien évident avec la narration biblique ?
La plupart des chercheurs modernes estiment que c’est
le mythe mésopotamien du Déluge qui a influencé les auteurs de la Bible. D’autres
au contraire s’attachent à défendre la primauté de la tradition judéo-chrétienne
monothéiste. Quoi qu’il en soit, l’abondance des documents mésopotamiens montre
que ce peuple considérait ce récit comme un mythe fondateur, peut-être même comme
un évènement réel. Si tel était le cas, le Déluge de la Genèse s’inscrirait dans
un contexte historique. L’arche de Noé sortirait peu à peu de la légende pour
entrer dans l’Histoire.
Un déluge régional ou
planétaire
?
La grande vallée
du Tigre et de l’Euphrate n’est pas la seule région du Monde à avoir
gardé
mémoire de ce genre de mythe. Plusieurs autres foyers culturels ont
conservé
des récits ancestraux faisant état d’une inondation totale,
éradiquant toute
vie humaine à l'exception de quelques personnes réfugiées sur un
navire. De tels
récits ont ainsi été recueillis dans des
territoires aussi éloignés que l'Inde, la Grèce, l'Australie,
l'Amérique du
Nord ou la Scandinavie ...
Dans son « Dictionnaire biblique »,
l'Eglise adventiste a publié une carte recensant les plus anciens récits de déluges
à caractère mythique [10]. Le nombre de points reportés est impressionnant, et
incite à penser que l’existence de toutes ces traditions peut difficilement
être fortuite. Auraient-elles une origine commune ? Une inondation majeure
a-t-elle effectivement pu sévir à l’aube de nos civilisations ? Quelle serait son
étendue ? N’aurait-elle pas laissé des traces de nature géologique ?
C'est apparemment ce qu'ont découvert quelques archéologues en effectuant des
sondages dans une plaine irakienne.
Récit
d'un Déluge
fait
par un Amérindien
(shingwauk.auc.ca).
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Carte
des lieux où ont
été recensés
des récits d'un Déluge régional.
(dialogue.adventist.org).
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