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Le Déluge
mésopotamien
En
fouillant en 1929 les ruines de l'ancienne cité d'Ur en Mésopotamie,
l'archéologue
britannique Sir Leonard Woolley fit une découverte sensationnelle.
Creusant une
tranchée profonde pour reconnaître les plus anciens niveaux
d’occupation, il trouva au fond du puits de sondage une couche d'argile
stérile. La
transition dans la nature du sous-sol était nette, le niveau
d'occupation archéologique
étant soudain remplacé par de l’argile pure exempte de toute trace de
vie
humaine. Cela signifiait à première vue que l’on avait atteint le sol
vierge.
Mais Woolley décida de faire continuer à creuser, et son ouvrier plutôt
sceptique s’exécuta non sans une certaine mauvaise humeur.
Ayant dégagé de
l’argile pure sur plus de trois mètres de profondeur supplémentaires,
il vit à
sa grande surprise l’argile s’interrompre brusquement pour laisser
apparaître
un deuxième niveau archéologique contenant d’autres traces d’occupation
humaine. Cette couche inférieure correspondait aux vestiges d'une
seconde cité
plus ancienne, les tessons de céramique présents dans cette strate
montrant que
les poteries avaient été façonnées à la main, alors que celles de la
ville
située au niveau supérieur avaient été confectionnées avec la technique
du tour
de potier [1].
La Mésopotamie antique
(history.mcs.st-and.ac.uk).
Comment
expliquer la présence d'une épaisse couche de sédiments intercalée
entre deux
terrains riches en vestiges d’habitations ? Pour Woolley, cette couche
d’argile
ne pouvait être qu’un ancien dépôt boueux, qui avait dû se déposer lors
d’une
importante inondation. Mais en considérant l’impressionnante épaisseur
de la
couche, il eut l’idée de proposer une hypothèse audacieuse :
c'était le déluge
de Noé.
La stratigraphie
impliquait à l’évidence que deux cités antiques avaient été bâties
successivement au même
endroit à deux époques différentes. Pour vérifier son hypothèse,
Woolley fit
faire d’autres sondages dans le même secteur. La moitié des forages qui
furent
réalisés (quatorze en tout) montrait le même type de dépôt, quoique
d'épaisseurs
différentes selon l'altimétrie. Les plus grandes épaisseurs (jusqu’à
3,70 m)
correspondaient aux dépôts les moins élevés en altitude. A l’aide des
céramiques, il put estimer l'âge de la couche d'argile à environ 3500
av. J.-C. [2].
L'archéologue Leonard Woolley
(mesopotamia.co.uk).
La
large plaine du Tigre et de l'Euphrate constitue
une immense zone inondable. Encadrée par la chaîne montagneuse du
Zagros au
nord-est, les monts Ararat au nord et les pentes désertiques de
l’Arabie au
sud-ouest, elle draine les eaux de ravinement d’un immense
territoire ; en
cas de pluies exceptionnelles dans ces régions, la vallée irakienne est
rapidement en crue. Woolley et ses collaborateurs imaginèrent que le
Déluge de
la Bible a pu correspondre à une inondation de ce genre, affectant
toute ou une
grande partie de la Mésopotamie.
Pour
estimer son étendue, il fallait
entreprendre de nouveaux sondages dans d’autres cités chaldéennes
voisines. Ce
fut le travail de plusieurs autres missions archéologiques qui s’y
attelèrent durant
les années 1920-1930.
- A
Kish, située au nord de Ur, une équipe anglo-américaine dirigée par
Stephen
Langdon fouilla les ruines de la ville entre 1923 et 1932. Elle trouva
là aussi
des couches alluviales intercalées entre plusieurs niveaux
archéologiques. Elles
étaient cependant moins épaisses qu’à Ur, réparties sur trois ou quatre
niveaux
différents et elles furent datées dans une tranche d’âge plus récente,
entre
3200 et 3000 av. J.-C. [3].
- A
Shuruppak (l’actuelle Tell Fara), le docteur Eric Schmidt de
l’Université de
Pennsylvanie trouva en 1931, entre plusieurs strates historiques, un
lit
d’argile d’une épaisseur de soixante centimètres, datant d’à peu près
2900
avant notre ère. Ce dépôt était constitué de treize couches de sable et
d’argile alternées [4].
- A
Uruk, des fouilles entreprises par l’archéologue Julius Jordan, de la Deutsche Orient Gesellschaft, mirent en
évidence en 1929 un dépôt sédimentaire épais d’un mètre cinquante,
remontant à
2800 ans environ av. J.-C. [5][6].
- A
Ninive, qui fut fouillée en 1931 et 1932 par l’archéologue britannique
Max
Mallowan, un ou plusieurs niveaux d’argile apparurent sur une hauteur
de deux
mètres, difficiles à dater, peut-être entre 5500 et 3100 avant notre
ère [7].
- A
Lagash, l’archéologue français André Parrot signala un dépôt d’argile
qui
semblait dater d’autour de 2800 av. J.-C. [8].
Le Déluge mésopotamien
(dialogue.adventist.org).
Ces
résultats sont cependant à nuancer, car d'autres
cités mésopotamiennes également fouillées n'ont pas révélé de telles
couches
alluviales. C'est le cas d'Eridu, proche de Ur de douze kilomètres
seulement et
qui n'a livré aucune trace d'inondation de ce type. D'autre part, on
voit bien
que les âges attribués aux dépôts alluviaux ne coïncident pas. Si
l'on
tient compte de ces écarts, les inondations apparaissent comme très
locales, et
dès lors l'hypothèse d'un déluge unique affectant toute la Mésopotamie
devient plus
improbable. A-t-on creusé suffisamment profond ? Quoi qu’il en
soit, l'ensemble
des dates attribuées aux dépôts ainsi mis en évidence s’étendent sur
une gamme
de 5500 à 2800 av. J.-C.
Cette fenêtre chronologique
est
plus ou moins
cohérente avec les informations données par les tablettes cunéiformes.
En effet,
la liste royale sumérienne précise que la capitale changea de Shuruppak
à Kish
juste après le Déluge. Un tel changement de capitale et de dynastie
semble
effectivement avoir eu lieu historiquement vers 2900 av. J.-C. Par
ailleurs,
dans les trois versions du Déluge tirées des tablettes cunéiformes, le
héros
est un habitant de Shuruppak, ville dont les ruines ont livré un dépôt
d’argile
de soixante centimètres et datant d’environ 2900. C’est donc autour de
2900 que
semble se dessiner la meilleure convergence de données. En définitive,
la
conclusion de l'enquête semble revenir à l’assyriologue Samuel Noah
Kramer, de
l’Université de Pennsylvanie, qui en 1967 écrivait [9] :
« (…) L’histoire
du déluge mésopotamien, et la version de
l’Ancien Testament qui en provient, fut inspirée par un désastre
réellement
catastrophique, mais aucunement universel, qui eut lieu non pas
immédiatement
après la période d’Ubaid (c’est-à-dire vers 3500 av. J.-C.) comme
Woolley l’a
déclaré, mais plutôt autour de 3000, et qui laissa des traces à Kish,
Shuruppak
et probablement en de nombreux autres sites restant à découvri».
Une
tranchée de fouille creusée
à Ur
(uni-marburg.de).
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Une
coupe du sous-sol montrant
des
dépôts alluvionnaires
(harunyahya.com).
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Le Déluge et
la mer Noire
Une théorie alternative tentant de
relier le Déluge biblique à des indices géologiques a été proposée bien
plus
récemment par deux géologues américains de l’Université de Columbia. En
1998, William
Ryan et Walter Pitman formulèrent l'hypothèse d'une inondation
exceptionnelle qui aurait
eu lieu non pas en Mésopotamie, mais en mer Noire. Ils s'appuyaient sur
les résultats
des missions scientifiques marines de l'International Ocean
Drilling Program, qui
ont mis en évidence au fond de la mer Noire de curieux indices,
suggérant que
dans la période préhistorique cette mer n'existait pas, et qu'il y
avait à sa
place un ancien lac. Des plages de galets englouties, des coquillages
d'eau
douce et des traces d'aménagements humains rudimentaires dorment en
effet au
fond de la mer.
Pour expliquer la
présence de ces éléments immergés, les océanographes ont émis l'idée
que la mer
Noire se serait remplie brusquement, conséquence indirecte de la fin de
la
dernière glaciation d'il y a 10 000 ans. En effet, à chaque
réchauffement
climatique, la fonte des glaces provoque une lente remontée générale du
niveau des
mers.
L'eau de la Méditerranée aurait alors rompu le
barrage naturel que devait constituer l'actuel détroit du Bosphore. Des
millions de tonnes d'eau se seraient déversés dans la dépression,
engloutissant
les populations qui y vivaient. C’est à cet évènement supposé que les
deux
chercheurs tentent de relier le Déluge de la Bible
[10][11].
Ce rapprochement présente plusieurs
points
faibles, les caractéristiques de cette catastrophe différant nettement
du récit biblique
par plusieurs aspects. Il
s'agit d'abord
de l'ouverture d'un immense barrage et
non pas de pluies torrentielles. Ensuite l'évènement décrit peut
difficilement
être relié aux témoignages des tablettes cunéiformes chaldéennes. En
outre, l'évènement
de la mer Noire peut paraître trop ancien pour avoir été enregistré
dans la
mémoire humaine (l’écriture fut inventée vers 3300 av. J.-C.). Enfin,
l’aspect
brutal du déversement d’eau reste à confirmer. Il n'est donc pas
certain que la
naissance de la mer Noire et le Déluge Biblique représentent le même
évènement.
Références :
[1] - W. Keller : "La Bible
arrachée aux sables". Perrin, Paris 2007, pp. 63-71.
[2] - W.H. Shea : "Le
déluge : une simple catastrophe régionale ?"
(dialogue.adventist.org).
[3] - S.
N. Kramer : "Reflections on the
Mesopotamian
Flood. The Cuneiform Data New and Old". Expedition 9, No 4 (1967), pp. 12-18.
[4] - J. Bright : "Has
Archaeology found Evidence of the Flood ? " The
Biblical archaeologist, Vol. 5, No. 4 (Dec. 1942), pp. 55-72.
[5] - W.H.
Shea : "Le
déluge : une simple catastrophe régionale ?"
(dialogue.adventist.org).
[6] - J. Lendering : "The Great
Flood
: Archaeological Evidence" (livius.org).
[7] - J. Bright : "Has
Archaeology found Evidence of the Flood ? " The
Biblical archaeologist, Vol. 5, No. 4 (Dec. 1942), pp. 55-72.
[8] -
R.L.
Meehan : "Of Special
Interest to Those Concerned with Science, the Bible, Apocalypse, and
Revelation"
(stanford.edu).
[9]
- G. Roux : "La
Mésopotamie". Seuil, Paris 1995, pp. 134-139.
[10] - S. N. Kramer : "Reflections
on the Mesopotamian
Flood. The Cuneiform Data New and Old". Expedition 9, No 4
(1967), pp.
12-18.
[11]
- R. Fortey : "La mer
Noire, fille du Déluge ?" La
Recherche 327, janvier 2000, pp. 54-57.
[12]
- J.E. Parisot : "Le
déluge et la mer Noire" (home.nordnet.fr/%7Ecaparisot).
[13] - R.D. Ballard, D.F. Coleman,
G.D.
Rosenberg :
"Further
Evidence of abrupt Holocene drowning of the black Sea
shelf". Marine Geology 170 (2000), 253-261.
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