En
leur permettant de franchir la "mer des Roseaux" par un miracle qui
détruit
la cavalerie égyptienne, Moïse libère les Israëlites de l'Egypte
et de la
servitude à laquelle ils étaient soumis. Les Hébreux ainsi délivrés
entament ensuite
un long périple à travers le désert dont la destination est la "Terre
promise", c'est-à-dire Canaan (Ex. 13, 17-18).
La
longue colonne des Israélites marche à pied en suivant les instructions
données à
Moïse par l'Eternel. Jour après jour, le déplacement du peuple
s'accompagne de manifestations spectaculaires, telle une colonne de
fumée qui
avance en tête du cortège.
"Yahweh
dit à Moïse : Ecris cela en
mémorial dans un livre (...)" (Ex. 17, 14) ; "Moïse
mit alors par écrit toutes les paroles de Yahweh"
(Ex. 24, 4) ; "Moïse mit par écrit
sur l'ordre de Yahweh les lieux d'où ils partirent pour leurs
campements"
(Nb. 33, 2) ; "Moïse écrivit cette
loi et la donna aux prêtres" (Dt. 31, 9) ; "En ce
jour-là, Moise écrivit le cantique suivant et l'enseigna
aux enfants d'Israël" (Dt. 31, 22) ; "Lorsque Moïse
eut complètement achevé d'écrire dans un livre les
paroles de ce cantique, il donna cet ordre aux Lévites ..." (Dt.
31,
24).
C'est
la
première fois dans la Bible qu'il est question d'écriture. Moïse
serait-il l'auteur des premiers livres bibliques ? Savait-il écrire ?
Si l'on admet qu'il a grandi à la cour royale d'Egypte, il a pu y
bénéficier d'une solide éducation et on peut dès lors
concevoir
qu'il ait été l'un des rédacteurs de la Bible.
Cette
supposition contredit l'idée actuellement en vogue selon laquelle ces
textes
n'auraient été écrits que des siècles plus tard. Le scepticisme de
nombreux
auteurs actuels a jeté un doute la réalité de l'Exode et du séjour des
Hébreux
en Egypte.
A
l'opposé,
les défenseurs de la réalité historique de ces évènements mettent en
avant
quelques
détails géographiques qui ont difficilement pu être inventés. De
fait, le récit de l'Exode se présente un peu comme un journal de
voyage. N'est-il
pas plus exaltant d'imaginer un reportage pris au jour le jour, en
direct du
Sinaï il y a 3200 ans ?
Le récit de la marche des Hébreux dans le désert se
répartit
entre les livres de l'Exode, des Nombres et du Deutéronome, auxquels il
faut
ajouter le Lévitique (à vocation liturgique). Outre la description
narrative du parcours, le livre des Nombres
contient
au chapitre 33 une longue liste des étapes où ils firent halte et
campèrent.
Des
générations de chercheurs ont tenté de reconstituer avec exactitude le
chemin
suivi. Mais la confrontation des données bibliques et géographiques est
souvent
déroutante, ce qui explique la diversité des circuits et localisations
qui
furent proposés. Nous avons choisi de décrire ici l'itinéraire
traditionnel, qui passe par le sud de la péninsule du Sinaï et
qui est peut-être
le mieux jalonné.

Itinéraire possible
de l'Exode
(1timothy4-13.com).
De la "mer des Roseaux" au mont Sinaï
On
peut suivre
pas à pas la route empruntée par les Hébreux après le franchissement de
la mer.
Pendant trois jours ils avancèrent dans le désert de Sur sans trouver
d'eau,
jusqu'à atteindre un lieu qu'ils appelèrent Mara parce qu'il y avait là
une
source d'eau amère. Suivant le conseil divin, Moïse y jeta un morceau
de bois
et l'eau devint pure (Ex. 15, 22-25).
Près
de l'extrémité actuelle du golfe de Suez, un lieu-dit est aujourd'hui
appelé
Ayun Musa, nom qui signifie précisément "source de Moïse". Son eau est
riche en sels minéraux naturels, qui se composent de sel ordinaire, de
gypse et
de sulfate de magnésium. Même en faible concentration, ces produits
donnent
encore à l'eau un goût particulier [1]. Ayun
Musa compte une source abondante et une dizaine de puits artificiels,
dont les
eaux sont toutes sulfatées à l'exception d'une seule.
L'étape
suivante,
nommée Elim, est décrite dans le texte comme une oasis importante ayant
de
grandes ressources en eau. La Bible précise que ce lieu comptait "douze
sources et soixante-dix palmiers" (Ex. 15, 27). Cette oasis pourrait
correspondre à l'actuelle Wadi Gharandel (ou Wadi Gharanai), une vallée
qui
arrose la rive est du golfe de Suez. Cette agréable vallée riche en
plantes
diverses et effectivement alimentée par de nombreuses sources [2]. A la
différence des eaux d'Ayun Musa, celles de Wadi Gharandel sont
normalement
potables.

Le
site
d'Ayun Musa,
nom qui signifie "source de Moïse"
(awtravelogues.com).
|

Le
site de
Wadi Gharanai,
qui possède
de nombreux points d'eau
(greatcommission.com).
|
Les
Hébreux
campèrent au bord de l'eau, puis s'enfoncèrent dans des régions plus
désertiques : "Ils partirent de la
mer Rouge et campèrent dans le désert de Sin" (Nb. 33, 11). Ce nom
désigne peut-être la vaste plaine de Markha, qui s'étend au bord de la
mer
Rouge autour de l'actuelle ville d'Abu Rodeis.
Le
problème du ravitaillement
Les
Hébreux se plaignirent de la faim avec véhémence auprès de Moïse ; ils
reçurent alors par miracle une nourriture divine qui tomba dès lors chaque
matin sur le sol. Cette substance se présentait sous la forme d’un dépôt blanc,
doux et comestible, qu’ils appelèrent man
ou manne, ce qui signifie en hébreu
« qu’est-ce que c’est ? » (Ex. 16, 13-36). En outre, ils purent
également manger de la viande, grâce à une invasion de cailles qui s'abattit chaque
soir sur leur camp (Ex. 16, 8-13 ; Nb. 11, 31-34).
Ces
récits n'ont pas manqué d’intriguer les orientalistes modernes, qui se sont mis
à la recherche de processus naturels susceptibles de leur correspondre. La
manne est décrite comme une nourriture ayant la consistance de la mie de pain. Au
cours du XXe siècle, les biologistes allemands Frederick Simon Bodenheimer et
Oskar Theodor étudièrent une variété d'arbustes poussant dans les déserts et appelée
le tamaris. En réaction à la piqûre des cochenilles, le tamaris sécrète de
grandes quantités d’une substance naturelle qui se cristallise en un sucre
comestible.
Cet
arbuste à petites feuilles en écailles et à fleurs roses, le tamarix mannifera ehr [3], est
abondant surtout dans le Nord du Sinaï. Il produit cette substance à la
consistance fondante qui s’accumule parfois massivement sur le sol. Le produit
connaît plusieurs utilisations et se conserve facilement. Les chercheurs l’assimilèrent
à la manne miraculeuse décrite dans la Bible.

Le tamaris
pousse dans les régions arides
(biologie.uni-hamburg.de).
| 
Il produit
des fleurs de couleur rose caractéristiques
(perso.wanadoo.fr/jj.baumann).
|
En
ce qui concerne l’invasion des cailles, une explication qui tient aux grandes
migrations avait été proposée dès l’Antiquité par Flavius Josèphe [4]. Au
printemps, les oiseaux venus d'Afrique traversent la mer Rouge et se posent
épuisés après leur long trajet effectué au-dessus de l'eau ; ils sont
alors faciles à capturer à la main.
Ces explications
sont-elles satisfaisantes ? On peut en douter, lorsqu’on sait que ces
phénomènes sont d’ampleur limitée et de nature saisonnière. Et quelle place
resterait-il pour la poésie surnaturelle du miracle ? La démarche est perçue
de différentes manières, en fonction des sensibilités.
Du désert de Sin au mont Sinaï
"Ils partirent du
désert de Sin et campèrent à Dophka" (Nb. 33, 12). La halte appelée
Dophka pourrait correspondre à la région des anciennes mines du Sinaï.
Le mot Dophka
proviendrait du mot égyptien mafka,
qui signifie à peu près "minerai".
Il
est exact que toute une zone de la péninsule sinaïtique est précisément
creusée
d'anciennes de mines de cuivre et de turquoise qui furent exploitées au
temps
des Pharaons. On peut y voir des galeries d'extraction et des
aménagements
importants, avec des inscriptions hiéroglyphiques gravées aux noms de
plusieurs
rois d'Egypte. Les mines du Sinaï furent exploitées depuis les
premières
dynasties égyptiennes et jusqu'à Ramsès VI. Moïse et les Israélites,
lors de
l'Exode, ont pu emprunter simplement le chemin des mineurs égyptiens.
Dophka a
été assimilé par des explorateurs au Wadi Maghara situé sur cette
route.

Le Wadi Maghara
(bedawi.com).
Mais
le plus
intéressant est le grand nombre de graffiti originaux que l'on y
trouve. De nombreuses
inscriptions sont gravées dans les galeries et sur les parois
rocheuses, dans
une forme d'écriture auparavant inconnue. Ce que les spécialistes
appellent aujourd'hui les "inscritptions proto-sinaïtiques" s'est avéré
représenter une
étape-charnière
dans l'histoire des écritures du monde. Car si l'on en croit les
épigraphistes
il s'agirait de l'ancêtre de notre propre alphabet. Partiellement
déchiffrées,
ces inscriptions sont très étudiées et continuent à nous interroger.
Dans
le même
secteur, un autre site archéologique présente également un grand
intérêt :
Serabit-el-Khadem. Il s'agit d'un plateau difficilement accessible qui
fut
pareillement exploité pour ses mines, plus particulièrement sous Ramsès
II. Non
loin des entrées de ses galeries d'extraction, subsistent les ruines
d'un
temple égyptien dédié à la déesse Hathor. Constitué de nombreuses
salles successives
alignées et entouré de stèles égyptiennes couvertes de hiéroglyphes, il
représente le lieu de culte des anciens mineurs. Au fond du sanctuaire
fut
découverte une statuette de sphinx qui révéla aux savants une partie de
la clef
de l'écriture inconnue. Un chapitre spécifique est consacré à ce sujet
dans les
pages suivantes.

Le
site de
Serabit-el-Khadem
(voicesofsouthsinai.com).
Les
Hébreux progressent
à travers le désert jusqu'au camp de Raphidim, où ils se plaignent
avec véhémence
de l'absence d'eau potable. Alors sur conseil divin, Moïse frappe un
rocher
avec son bâton, et de l'eau en jaillit (Ex. 17, 1-7 ; Nb. 20, 2-13). A
Raphidim
les Hébreux sont attaqués par un groupe de nomades appelés
Amalécites, contre
lesquels ils se défendent les armes à la main. Durant le combat,
Moïse maintient
ses bras levés en signe de supplication, geste grâce auquel les Hébreux
remportent
la victoire (Ex. 17, 8-16). A Raphidim encore, Moïse retrouve son
beau-père
Jéthro le Madianite, venu à sa rencontre et qui est ainsi informé de
l'histoire
extraordinaire de la sortie d'Egypte (Ex. 18).
Raphidim
est de
nos jours identifiée à l'une des plus belles oasis du Sinaï, une longue
vallée
verdoyante appelée Wadi Feiran, pour "vallée du Pharaon", également
surnommée "la perle du Sinaï". Elle devait être à sec le jour où les
Israélites y entrèrent, ce qui expliquerait leur déception à l'arrivée
et leurs
protestations. La scène de l’eau tirée du rocher n'a rien
d'étonnant pour un hydrogéologue familier de la péninsule sinaïtique. Vers 1930
de notre ère, un détachement de soldats soudanais chercha de l'eau dans une
vallée aride du Sinaï en creusant dans le sable au pied d'une paroi. L’un d’eux
heurta de sa pioche le rocher, qui se brisa pour laisser apparaître une couche
minérale plus tendre, d'où un filet d'eau s'échappa [5]. Le
phénomène géologique est aujourd'hui bien compris. Les montagnes de la
péninsule sont constituées de strates rocheuses peu inclinées, les fissures
présentes dans le granite étant comblées par du porphyre tendre et facile à
creuser. Entre deux couches dures, la nappe phréatique affleure de sorte que
quelques coups de pioche suffisent pour en faire jaillir une source. De nos jours encore, les bédouins s’alimentent
de cette manière en eau potable [6].
A
Raphidim également, les Hébreux sont attaqués par une tribu de nomades appelés les
Amalécites, contre lesquels ils se défendent les armes à la main. Durant le
combat, Moïse maintient ses bras levés en signe de supplication, attitude
mystique grâce à laquelle les Hébreux remportent la victoire (Ex. 17, 8-16). A
Raphidim encore, Moïse retrouve son beau-père Jéthro le Madianite, venu à sa
rencontre et qu’il informe de l'histoire de la sortie d'Egypte (Ex. 18).
Le site de Wadi-Feiran, la
"perle du Sinaï".
(home.planet.nl/~beren442)
Les
Hébreux au Sinaï et
l'Alliance
Les
Israélites
se dirigent ensuite vers le mont Sinaï et campent en face de la
"montagne
de Dieu". Celle-ci est à leur arrivée le siège de manifestations
très spectaculaires : éclairs, tonnerre, fumée, son d'une trompette ...
Moïse est appelé à en gravir seul le sommet et à s'entretenir avec Dieu
face à face.
L'Eternel
lui donne les deux fameuses tables de pierre, ou tables de la loi, sur
lesquelles sont
gravés les
dix Commandements.
En
son absence,
le peuple resté dans la plaine s'impatiente et se livre au culte païen
du
"veau d'or" qu'ils confectionnent pour l'occasion en métal fondu. A son retour, Moïse
entre dans une vive colère et brise les deux tables qu'il
a
reçues ainsi que la statue idolâtre. Dieu lui ayant fourni de nouvelles
tables,
les Israélites prennent connaissance des dix Commandements et des termes
de l'Alliance
particulière que Dieu leur offre.
La
loi gravée
sur les tables de pierre est un code de bonne conduite
spirituelle et
morale, à respecter en échange de la protection divine. L'Eternel se
présente
sous le nom de Yahweh, s'affirmant comme le Dieu unique à vénérer à
l'exclusion
de toute autre divinité. Le culte des idoles et de toute image
fabriquée est
banni. L'amour du prochain doit se concrétiser par l'abstention de
tout meurtre,
vol, convoitise ou mensonge, ainsi que par le respect des parents et la
fidélité
conjugale. Le nom divin ne doit pas être prononcé en vain et un jour
par semaine, le sabbat, est réservé au repos. Le
"Décalogue" doit plus tard acquérir une portée universelle et se
diffuser
à travers le monde, transmis par le judaïsme et le christianisme.
Les
Israélites
reçoivent également une série de prescriptions complémentaires liées à
la vie
sociale et au
culte. Celui-ci nécessite la fabrication d'un mobilier liturgique, et
en
particulier la fameuse "Arche de l'Alliance" ou coffre destiné à
transporter
les tables de la loi. D'autres objets comprenant un autel à parfums,
une table d'offrandes
et un chandelier à sept branches, complètent le mobilier portatif qui
prendra
place sous une grande tente. Les meilleurs artisans israélites
confectionnent
les objets demandés avec les matériaux les plus précieux disponibles
(Ex.
19-40).

Une vue
matinale du massif du Sinaï.
(panoramio.com)
La
tradition historique
considère l'actuel sommet du Djebel Musa ("Montagne de Moïse"), comme
la montagne sur laquelle Moïse reçut le Décalogue. Au pied de ce massif
désertique, une plaine large mais encaissée appelée Er Râhah semble
être un
lieu de campement idéal pour une foule nombreuse. Dans une vallée
voisine, le
monastère Sainte-Catherine perpétue son souvenir depuis le VIème
siècle. Mais comme pour chaque site, on peut s'interroger sur le
fondement réel de cette tradition.
L'un
des plus
anciens témoignages d'archives relatifs au Djebel Musa est la
description
détaillée qu'en fit au IVème siècle de notre ère la pélerine espagnole
Egérie,
qui rattachait explicitement ces lieux à l'histoire de l'Exode
[7]. Elle
rapporte qu'en son temps déjà des moines ermites y vivaient dans des
grottes en
honorant la mémoire du passage des Hébreux.
Aujourd'hui
l'identification du site manque encore de preuves archéologiques
directes. La
plaine d'Er Râhah a certes récemment livré sur une légère hauteur des
restes
d'occupation humaine, mais elles datent du néolithique et non pas du
temps de
l'Exode. Il faut sans doute considérer le caractère éphémère des traces
de
campements de nomades, surtout dans une plaine facilement inondable
comme Er Râhah : le manque d'indices matériels ne prouve pas que les
Israélites n'y ont jamais planté leurs tentes.

Le
monastère Sainte-Catherine,
proche du mont
Sinaï
(bibleplaces.com).
|
Chapelle
bâtie au sommet
du mont Sinaï
(en.wikipedia.org).
|
Références :
[1] - A.S. Issar : "La
Bible et la science font-elles bon ménage ? Les plaies d'Egypte et de
l'Exode
passées au crible de l'hydrogéologie". La Recherche n° 283,
janvier
1996.
[2]
- "South Sinai
: El-Markha. El-Markha Plain Project" (deltasinai.com).
[3] - W. Keller : "La
Bible arrachée aux sables". Famot, Genève
1975.
[4] - F. Josèphe : « Antiquités judaïques ».
Livre III, chapitre 1, par. 5. http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Flajose/juda3.htm#_ftnref21.
[5] - C.S. Jarvis :
« Yesterday and to-day in Sinai ». W. Blackwood & Sons Ltd,
London 1931.
|