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Les inscriptions 

du désert 










 


En Orient, les immenses déserts de sable et de rochers sont parfois le lieu de découvertes fascinantes. Ils recèlent en effet quelques indices archéologiques peu connus mais d'un intérêt considérable. En l'occurence, les données présentées ci-dessous relèvent d'une aventure particulièrement instructive quant à l'histoire des civilisations.

S'il est un thème fascinant dont l'importance à travers l'Histoire s'est répercutée jusqu'à notre usage quotidien, c'est l'évolution de l'écriture alphabétique, qui s'est faite parallèlement à la naissance du peuple d'Israël.


L'écriture proto-sinaïtique


        Selon une lecture possible de la géographie des textes bibliques, l'itinéraire suivi par les Israélites lors de l'Exode descend vers le sud le long de la côte ouest de la presqu'île du Sinaï, avant de rejoindre le Djebel Musa. Le tracé classique passe à proximité d'un haut plateau appelé Serabit-el-Khadem, où d'anciennes mines de cuivre et de turquoise étaient exploitées au temps des Pharaons. Ce secteur correspond peut-être à une étape biblique appelée Dophka, mot qui signifie à peu près "minerai" ou "métallurgie". Nous savons que la main-d'oeuvre employée dans cette mine était, au moins partiellement, d'origine sémitique. Mais ce site constitue également une mine d'informations précieuses pour les historiens et les linguistes.





Le temple de Hathor à Serabit-el-Khadem

(independentguide.wordpress.com).


Plan du temple de Hathor à Serabit-el-Khadem
(moise-fils-aton.com).


 

En 1909, l'orientaliste anglais Flinders Petrie fit une expédition dans le Sinaï et explora les mines de Serabit-el-Khadem. Son attention fut attirée par un type particulier de graffiti gravés sur les parois rocheuses et dans les galeries. Ces signes inconnus ressemblaient à des caractères hiéroglyphiques égyptiens mais ils étaient tracés de manière simplifiée et quelque peu différente. Le nombre limité de signes existants lui suggéra qu'il s'agissait de signes alphabétiques. Petrie fit quelques relevés et les publia en Occident.

Il s'avéra que ces inscriptions présentaient un immense intérêt et qu'elles constituaient sans doute les plus anciennes traces d'une écriture alphabétique. L'ensemble de ces signes fut baptisé "proto-sinaïtique" et leur déchiffrement devint un défi à relever.



Inscriptions proto-sinaïtiques
(aleph2at.free.fr).

 

Sur le plateau de Serabit subsistent les ruines d'un temple de la déesse égyptienne Hathor, dans les environs duquel on trouva une petite statue de sphinx qui allait permettre aux chercheurs de progresser. Elle portait quelques-uns de ces signes proto-sinaïtiques qui avoisinaient avec des hiéroglyphes classiques. Cet objet allait faciliter le déchiffrement de l'énigmatique écriture.

            Ce fut l'égyptologue britannique Alan Gardiner qui fit en 1916 les premiers pas vers le déchiffrement. Les hiéroglyphes égyptiens exprimaient une dédicace à la déesse et signifiaient clairement : "Aimé d'Hathor, déesse de la turquoise". Quant aux signes proto-sinaïtiques, Gardiner proposa un le lien avec la langue sémitique et supposa que le système d'écriture était "acrophonique" : chaque signe représentait un objet et se prononçait comme la première lettre du mot sémitique qu'il figurait. Ainsi le carré pouvait-il représenter le plan d'une maison, et se prononcer b, car maison se dit "beth" en sémitique. En comparant les courtes inscriptions du sphinx de Serabit, il réussit à reconnaître dans les signes proto-sinaîtiques les lettres B'LT et le  mot baal'at, qui signifiait "maîtresse", et qui était l'équivalent féminin du dieu Baal. L'inscription complète fut assimilée aux lettres M'HB'LT, et fut traduite par : "Aimé de la maîtresse" [1].






Le sphinx de Serabit-el-Khadem
(fontes.lstc.edu).


Dédicace gravée sur
 le sphinx de Serabit el Khadem
(sennefer.at)
.


Le principe de lecture était désormais acquis. Il était alphabétique, il dérivait des hiéroglyphes égyptiens et il transcrivait une langue sémitique. Alors que l'écriture hiéroglyphique combinait plusieurs modes de fonctionnement, celle du Sinaï ne retenait que quelques signes transcrivant des sons élémentaires. Ces signes avaient à l'origine une valeur figurative qui disparut au profit d'un usage purement phonétique. Par exemple, le aleph, c'est-à-dire le A, représentait une tête de boeuf stylisée et renversée ; aleph signifie "boeuf" en hébreu.

Selon les auteurs, la datation de ces inscriptions se place approximativement entre la XIIème et la XVIIIème dynastie égyptienne (entre 1800 et 1400 av. J.-C.). Cette forme d'expression constitue une étape intermédiaire avant l'apparition des alphabets sémitiques connus. Proche de l'hébreu ancien, elle constitue en réalité l'ancêtre indirect de notre alphabet [2].



L'alphabet proto-sinaitique
(yidbychoice.com).


On peut suivre par recoupements l'évolution ultérieure de ces lettres dans l'Histoire. L'écriture alphabétique de type proto-sinaïtique avait l'avantage de la simplicité. Elle a été adoptée plus tard par les Phéniciens, qui l'ont légèrement déformée, puis l'ont transmise au monde grec, avec encore de petites modifications, comme par exemple le aleph devenant le alpha ; et ainsi de suite, les Grecs ont été imités par les Etrusques, qui l'ont eux-mêmes léguée aux Romains. Ainsi est né l'alphabet latin que nous utilisons aujourd'hui.


 


L'alphabet paléo-hébreu
(yidbychoice.com).

 

            L'inscription gravée sur la statue de Serabit-el-Khadem est la seule qui ait pu être déchiffrée. L'une des difficultés du proto-sinaïtique est qu'il ne note que les consonnes, tout comme l'égyptien, ce qui rend son déchiffrement d'autant plus incertain [3].

Les textes égyptiens de Serabit el-Khadem nous informent que des peuples originaires de Cananan étaient employés dans ces mines. Les inscriptions sémitiques du Sinaï représentent l'ancêtre de plusieurs alphabets antiques, dont l'hébreu fait partie. Peut-il y avoir un lien entre ces éléments et l'histoire biblique ? On peut concevoir que des Israélites réduits en esclavage aient été employés dans les mines du Sinaï, et que certaines des inscriptions de Serabit el-Khadem en portent la trace.


Les inscriptions de Wadi el-Mukattab

A une vingtaine de kilomètres au sud de Serabit el-Khadem, le Wadi el-Mukattab est un défilé tout aussi aride dont le nom signifie "la vallée des écritures". Sur une longueur de trois kilomètres en effet, plusieurs parois rocheuses sont couvertes d'un ensemble d'inscriptions dont la signification est énigmatique. Le graphisme de ces artéfacts tend vers des formes relativement allongées, verticales et curvilignes.

Les signes trouvés dans le Wadi-el-Mukattab furent photographiés pour la première fois par Francis Frith en 1857. Ils diffèrent nettement du proto-sinaïtique de Serabit. D'après les spécialistes ils seraient d'un graphisme très tardif et remonteraient seulement au IIIème siècle de notre ère. Ce sont vraisemblablement l'oeuvre de groupes de nomades arabes, peut-être des Nabatéens [4][5][6].

Si les inscriptions du Wadi el-Mukattab ne sont pas classées dans les plus anciennes formes d'écritures pré-alphabétiques, en revanche d'autres séries d'inscriptions découvertes récemment offrent des perspectives d'études encore plus intéressantes.



Inscriptions du Wadi el-Mukattab
(awayaway-sinai.net).



L'écriture proto-cananéenne


            Au nord de la péninsule du Sinaï, la grande plaine côtière du Levant a livré quelques exemples d'une écriture très ancienne : le proto-cananéen. Cette appellation regroupe un ensemble d'inscriptions assez dispersées, très proches du proto-sinaïtique et qui ressemblent à l'hébreu ancien, au phénicien et au sud-arabique. Ces artéfacts furent trouvées sur des objets tels que des poteries, des pointes de flèches et des pierres taillées, qui furent exhumés sur les sites de Sichem, Lachis, Beth Semesh et Tell el-Ajjul. Les dates estimées de leur usage s'échelonnent entre le XVIIIème et le XIème siècle av. J.-C..

            L'un des objets qui porte ce type d'inscriptions est un vase trouvé à Lachis, qui date probablement de la fin du XIIIème siècle av. J.-C.. Sa décoration montre des dessins d'animaux et d'arbres ainsi que quelques lettres pré-alphabétiques. Le professeur Frank Moore Cross, de l'université de Harvard, a proposé de les lire de gauche à droite et de les traduire par la formule suivante : "Mattan. Offrande à ma dame Elat". En supposant que Mattan soit le nom du donateur et qu'Elat soit le nom d'une divinité cananéenne, on ignore toutefois de quelle déesse il s'agit et on l'a assimilée à Ashérah [7].

            L'écriture proto-cananéenne est sans doute l'une des plus anciennes formes graphiques d'où notre écriture alphabétique semble provenir [8]. Son apparition a-t-elle précédé ou suivi celle du proto-sinaïtique ? Cette discussion est alimentée depuis peu par une autre découverte faite à Wadi el-Hol, en Haute-Egypte.




Le vase de Lachis
(biblicalarchaeology.org).



La décoration
  du vase de Lachis
(sennefer.at).



Les inscriptions de Wadi-el-Hol


        En 1993, le professeur John Darnell, égyptologue à l'université de Yale, découvrit en Haute-Egypte une inscription dans la boucle du Nil à l'ouest de Louqsor. Sur une paroi rocheuse sont gravées deux lignes de signes qui relèvent sans doute d'une forme d'écriture très ancienne.

Leur graphisme dérive des hiéroglyphes égyptiens et présente un lien de parenté étroit avec l'écriture proto-sinaïtique, et il s'agit sans doute également de signes alphabétiques primitifs. Leur datation est difficile, mais certaines particularités de leur graphisme telles que la position du signe de l'eau tracé verticalement semblent indiquer qu'elle remonte au début du second millénaire av. J.-C..

La traduction des deux inscriptions se heurte à des difficultés. L'une des deux lignes semble faire référence à un chef et l'autre à une divinité. Elle comporte une particularité : parmi les signes gravés figure le dessin d'un homme assis, qui aurait une fonction non pas phonétique mais déterminative (il servirait à classer d'autres signes), et de ce fait l'inscription n'est probablement pas entièrement alphabétique.

Sur le même rocher se trouve également gravée une autre inscription, en hiéroglyphes égyptiens celle-là, dont la traduction contient l'expression "Bebi, général des Aamou (Asiatiques)" [9]. Cette dernière écriture peut contribuer à donner un âge aux deux lignes alphabétiques : d'après ce critère l'ensemble des signes remonterait à la fin du Moyen Empire, c'est-à-dire autour du XVIIIème siècle av. J.-C.. Les conclusions des derniers travaux indiquent que les signes de Wadi el-Hol seraient légèrement plus récents que ceux de Serabit el-Khadem [10].

 



Les deux inscriptions de Wadi el Hol
(usc.edu
).

 


            Les inscriptions de Wadi-el-Hol comptent elles aussi parmi les plus anciennes écritures alphabétiques connues. Les corpus de Wadi el-Hol et de Serabit el-Khadem semblent plutôt antérieurs au système proto-cananéen ; cela impliquerait que l'alphabet sémitique soit apparu non pas en Canaan comme on l'a d'abord supposé, mais en Egypte.

            Selon John Darnell, cette forme de communication s'est développée au sein d'un peuple de langue sémitique et dans un contexte égyptien. Certains chercheurs supposent que ces signes ont été inventés à l'époque des Hyksos, et qu'ils sont une conséquence de l'adaptation culturelle de ce groupe. L'élaboration de ce système simplifié a également pu répondre aux besoins d'une population sémitique peu éduquée vivant en marge de la société égyptienne. Ce fut peut-être le cas des Israélites, qui en auraient ensuite conservé l'usage au moment de l'Exode, jusqu'à ce que cette forme d'alphabet évolue vers l'écriture hébraïque.


Les inscriptions du Néguev archaïque


         Dans le désert du Néguev, au sud-ouest de la mer Morte, il existe un autre ensemble d'inscriptions tout aussi intéressant que les précédents. Ces signes sont gravés sur des blocs rocheux dispersées dans le nord de la péninsule sinaïtique, entre autres près du Har Karkom, un lieu déjà connu pour ses traces d'occupation remontant au Néolithique. Le graphisme est très proche du proto-sinaïtique et du proto-cananéen. Regroupées sous l'appellation générique d'écriture ouest-sémitique ancien, ces inscriptions du Néguev appartiennent elles aussi à la famille des écritures sémitiques primitives [11][12].

Une annonce sensationnelle a été faite à la suite de missions de terrain conduites en 1994 par les docteurs James Harris et Dann Hone, de l'université Brigham Young de l'Utah. En tentant de déchiffrer ces inscriptions, Harris y trouva une transcription possible du nom du Dieu des Israélites : Yahweh. D'après lui, le nom de l'Eternel se retrouverait également sur d'autres artéfacts du même secteur, sous des formes voisines et souvent abrégées. "Yah", "El Yah", "Yahu" et "Yahh". Le préfixe "El" signifiant dieu se retrouve plusieurs fois et appuie cette hypothèse. Le nom divin semble même apparaître assez fréquemment, puisqu'il serait présent dans un quart des inscriptions …

Pour Harris, la présence explicite du nom de Yahvé ne fait pas de doute. Il est précédé dans plusieurs cas du mot "el" qui signifie "dieu". Il côtoie souvent des représentations d'une ménorah. Harris et Hone ont même proposé une traduction complète de tous ces groupes de signes, qui consisteraient essentiellement en dédicaces et en formules de prières exprimées en hébreu ancien.

 


Inscription trouvée à Nahal Avedat
(net.lib.byu.edu).


La forme archaïque de ces inscriptions et leur emplacement dans la péninsule du Sinaï ont incité Harris et Hone à les dater du premier ou du second millénaire av. J.-C. (env. 1200-600). Elles seraient contemporaines de l'émergence de la nation israélite en Canaan et auraient pu être gravées par des Israélites, que ce soit lors de leur migration vers la Terre sainte ou durant les siècles suivants.





Références :

[1] - T. Truschel : "La Bible et l'archéologie". Faton, Dijon 2010, pp. 36-37.
[2] - L.-J. Calvet : "Histoire de l'écriture". Hachette Litératures, Paris 2008.
[3] - W.F. Albright : "The Early Alphabetic Inscriptions from Sinai and their Decipherment". Bulletin of the American Schools of Oriental Research, No 110, (Apr. 1948), pp. 6-22.
[4] - "The Hebrew Exodus : When ? About 1500 B.C." (bibleprobe.com).
[5] - A. Montgomery : "A chronological Model for the Bible. Part 1 : The Exodus, Joshua and Judges". Apr. 5, 2001 (ldolphin.org).
[6] - J. Grant : "The signature of God" (nyjtimes.com).
[7] - R. Hestrin : “Understanding Asherah—Exploring Semitic Iconography.” Biblical Archaeology Review, Sep/Oct 1991, 50-59.
[8] - F.M. Cross : "Newly Found Inscriptions in Old Canaanite and Early Phoenician Scripts". Bulletin of the American Schools of Oriental Research, No 238 (Spring 1980), pp. 1-20.
[9] - J.C. Darnell, F.W. Dobbs-Allsopp, M.J. Lundbergh, P. Kyle McCarter, B; Zuckerman, C. Manassa : "Two Early Alphabetic Inscriptions from the Wadi el Hôl". The Annual of the American Schools of Oriental Research, Vol. 59 (2005).
[10] - “The Wadi el-Hôl Inscription: Earlier than Serabit?.” Biblical Archaeology Review, Mar/Apr 2010, 48.
[11] - J.R. Harris, D.W. Hone : "The Origins  and Emergence of West Semitic alphabetic Scripts" (lib.byu.edu).
[12] - B. Colless : "The science of Paleogrammatology and the evolution of the alphabet" (cryptcracker.blogspot.com).









La suite : La conquête de Canaan



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