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Le vaste Etat hébreu qu'avaient
constitué les rois David et Salomon ne réussit pas à maintenir son
unité sous
leurs successeurs. Après la mort de Salomon, vers 930 av. J.-C., une
grave crise
politique mena au partage du pays en deux royaumes séparés. La partie
nord fit
sécession et constitua le royaume d'Israël, tandis que la partie sud
formait le
royaume de Juda. Cette séparation est assimilée par les textes à une
sanction
divine à l’encontre du grand roi, coupable d’avoir épousé des femmes
étrangères
qui réintroduisirent des cultes païens en Israël.
L'histoire
des deux Etats est détaillée dans les livres des Rois et des
Chroniques, avec
les noms des rois et les durées de leurs règnes. Si aujourd’hui la
crédibilité des
évènements bibliques antérieurs au schisme est controversée, en
revanche à partir
de la monarchie divisée les traces archéologiques deviennent plus
substantielles ; de fait, leur histoire est plus solidement
attestée.
La rupture
Le
litige éclata en 928 avant notre ère, lors d'un incident provoqué par
le nouveau
roi Roboam, successeur légitime de Salomon. Le jour de son
intronisation organisée
à Sichem, le peuple réclama un assouplissement de la politique menée
jusqu'alors. Mais Roboam répondit sèchement et par la négative. Dès
lors, les
relations s'envenimèrent, la plupart des tribus israélites se
séparèrent et constituèrent
un royaume indépendant.
Le nouvel Etat prit pour
roi un ancien fonctionnaire de Salomon, Jéroboam. Appelé désormais
royaume
d’Israël, son domaine regroupait la plus grande partie de l'ancien Etat
unifié
de David, rassemblant les territoires de dix tribus. Il ne restait à
celui où
régnait Roboam que deux tribus fidèles de la région sud, Juda et
Benjamin. Sous
le nom de royaume de Juda, il demeurait centré sur sa capitale
Jérusalem.

Sceau portant le nom du roi d'Israël Jéroboam
(biblepicturegallery.com).
Les
deux Etats hébreux suivirent des destins parallèles pendant plusieurs
décennies
et furent souvent en conflit. Il leur arriva aussi de s'allier pour
résister
aux ambitions des grandes puissances de l'époque, notamment
chaldéennes. Les
deux royaumes étaient fragiles ; d'après la Bible, leur destin
dépendait étroitement
de leur obéissance aux commandements et aux messages du dieu Yahweh. Or
la majorité
des rois d'Israël et de Juda se comportèrent comme des monarques
idolâtres et
meurtriers, sourds aux conseils des prophètes qui parlaient en son nom.
Du schisme à
la chute du royaume d'Israël
Après cinq ans de
règne, en 925 av.
J.-C., le roi de Juda Roboam eut à combattre une invasion venant
d'Egypte et menée
par le pharaon Sisak. L'armée égyptienne ravagea le pays et détruisit
plusieurs
villes. Elle s'empara des trésors du Temple bâti par Salomon, puis à
l'issue de
cette razzia rentra en Egypte d'où elle ne devait plus ressortir avant
longtemps.
Le
roi Sisak s'identifie certainement au pharaon Sheshonq Ier, fondateur
de la XXIIe
dynastie égyptienne (943-922 environ av. J.-C.). C'est la première fois
que la
Bible désigne un roi d'Egypte par son nom véritable. Par chance, ce
pharaon a lui
aussi consigné le souvenir de sa campagne en le faisant graver sur un
mur du
temple d'Amon à Karnak. A côté de l'image du roi Sheshonq est inscrite
la liste
des villes de Palestine qu'il détruisit, parmi lesquelles se lisent les
noms de
plusieurs cités bibliques : Gabaon, Rehov, Beth Shean, Arad, Megiddo
... Cette expédition
est également illustrée par un objet retrouvé en Israël dans les ruines
de
Megiddo, un fragment de stèle de victoire érigée par Sheshonq Ier.

Le roi Sheshonq Ier représenté
dans le
temple de Karnak
(lessing-photo.com).
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Liste de
villes conquises par Sheshonq Ier.
Temple
de
Karnak
(lessing-photo.com).
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Pendant
ce temps, au Nord, le roi d'Israël Jéroboam
établi à Sichem fut en guerre contre Roboam durant quasiment tout
son règne. Au grand désespoir des prophètes de Yahweh, il fit élever deux veaux
d’or, l’un à Béthel et l’autre à Dan. Son intention était d’offrir aux
Israélites une alternative au culte pratiqué à Jérusalem afin de les dissuader
de s’y rendre (1 R. 12). La cité de Dan, implantée au Nord du lac de Galilée, marquait
la frontière avec la Syrie, tandis que Béthel, au Sud, était limitrophe du
territoire de Juda, à quelques kilomètres de Jérusalem.
Le
sanctuaire élevé à Tel Dan par Jéroboam a été retrouvé lors des fouilles
conduites par Avraham Biran à partir de 1966. Les ruines de l’antique cité de
Tel Dan occupent une surface de vingt hectares et sont entourés des vestiges d’un
rempart. Le site cultuel, construit dans la partie nord de l’enceinte fortifiée,
se compose de deux structures. La plus grande est une vaste plateforme surélevée,
pratiquement carrée, assemblée en pierres de taille et dallée. Devant cette
plateforme se tient une seconde enceinte plus réduite dans laquelle se
dressait vraisemblablement un autel à cornes, c’est-à-dire dont les quatre angles supérieurs faisaient
saillie. Sur cet autel démantelé, dont certains éléments retrouvés portent
encore des traces de feu, des sacrifices d’animaux étaient sans doute pratiqués.

Le sanctuaire de Tel Dan
(asorblog.org).
Les objets mobiliers découverts
sur place et à proximité sont significatifs. Ils comptent notamment un petit bas-relief
représentant un musicien dansant, une statuette du dieu Bès égyptien et une élégante
figurine de déesse cananéenne. Plus intéressant, on exhuma des pelles de fer qui
ont pu servir à évacuer les cendres des feux rituels, et surtout un magnifique
sceptre de bronze, lui aussi décoré de quatre cornes. Il
est clair que le sanctuaire de Tel Dan était un lieu de culte païen. Et d’après
la technique de construction de ses murs, l’ensemble date bien du IXe siècle, c’est-à-dire
de l’époque des premiers rois israélites du Nord. Avec
sa plateforme surélévée, ce sanctuaire s’identifie sans doute à l’autel de
Jéroboam, ou en tout cas à l’un des sites que la Bible appelle des « hauts-lieux »
et dont elle condamne l’existence avec vigueur.

Figurine exhumée
(biblicalarchaeology.org).
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Ustensiles d'entretien du feu
(members.bib-arch.org). |
Jéroboam
eut plusieurs successeurs
indirects, dont
le roi Omri qui fonda une nouvelle capitale, Samarie. Son fils Achab
hérita du
trône et épousa une princesse phénicienne du nom de Jézabel. Cette
souveraine à
la triste réputation introduisit en Israël le culte du dieu Baal et fit
exécuter les prêtres et les prophètes de Yahweh. A l'extérieur, Achab
mena une
guerre défensive contre la Syrie, dont le roi Benhadad s'était allié
avec celui
de Juda. Achab fut tué lors d'un combat contre les Syriens.
Le
règne de son fils et successeur Joram fut marqué par un soulèvement
dans le
pays de Moab, territoire vassal d'Israël et dont le roi Mésha refusait
de payer
le tribut. Israël monta une expédition punitive, et pour la
circonstance il
s'allia avec Juda ; les deux armées hébraïques dévastèrent le pays des
Moabites
avant de s'en retourner (2 R. 3).
Cet épisode de la
guerre contre Moab trouve une confirmation archéologique dans la stèle
dite de
Mesha, une pierre gravée découverte en 1868 à Dhiban en Jordanie par un
pasteur
allemand, F.A. Klein. C'est une dalle de basalte noir qui a connu une
histoire
mouvementée. Peu après sa découverte, les bédouins s'imaginèrent
qu'elle
contenait un trésor et la brisèrent en morceaux. Mais déçus de ne rien
trouver
à l'intérieur, ils en dispersèrent les fragments. Par chance,
l'archéologue français
Charles Clermont-Ganneau en avait auparavant réalisé un moulage,
précaution qui
lui permit de la reconstituer en partie et de décrypter l'inscription
qui la
couvrait [1].

La
stèle de Moab, ou de Mesha
(bible-history.com).
Le long texte
gravé sur la pierre, rédigé dans une langue très proche de l'hébreu
ancien, précise
que le roi de Moab remporta une victoire sur les Hébreux :
"(…)
Maintenant les hommes de Dieu demeuraient sur la terre d'Atharoth, et
le roi
d'Israël avait construit Atharoth pour eux ; mais j'ai attaqué la
ville, je
l'ai prise, et j'ai massacré tous ses occupants à la grande
satisfaction de
Chemosh et de Moab (…)".
La stèle mentionne un
peu plus bas le nom de "Omri, roi d'Israël", et cite également le nom
du dieu des Hébreux, Yahweh. A la fin du texte se trouve un groupe de
mots qui
semble signifier "maison de David", mais la traduction de ce morceau
en mauvais état est controversée. On remarque en outre que la version
des
Moabites contredit celle des Israélites, puisque chacun des deux camps
revendique
la victoire !
Le roi d'Israël Joram qui avait conduit
cette guerre contre Moab fut assassiné en 841 par le chef de son armée,
Jéhu, qui
prit le pouvoir à sa place. La politique religieuse du roi Jéhu fut
moins
païenne que celle de ses prédécesseurs, car il fit bannir du pays le
culte
idolâtre du dieu Baal et exécuter tous ses prêtres. Il n'eut pas pour
autant la
tranquillité à l'extérieur, car il fut entraîné dans une nouvelle
guerre contre
la Syrie. Le roi de Damas Benhadad vint mettre le siège devant Samarie,
mais sans
succès. A sa mort, son fils Hazaël remporta plusieurs succès militaires
contre
Israël, qui perdit de nombreux territoires. Les terres perdues seraient
cependant récupérées plus tard par Joas, l'un des successeurs de Jéhu.
La
stèle de Tel Dan, déjà
évoquée plus haut et qui porte l'expression "maison de David", est
également témoin de ces évènements [2][3]. Elle
est datée du IXe ou du VIIIe siècle av. J.-C.
et l'auteur du texte est le roi Hazaël de Damas. Le texte précise qu'il
tua "Achaz-Yahu,
fils de Joram, roi de la Maison de David". Ces noms apparaissent
précisément
dans la généalogie des successeurs du roi David. Ce ne sont pas les
seuls, puisque
d'autres rois hébreux figurent encore sur cette stèle dans les
expressions suivantes
: "Joram, fils d'Achab, roi d'Israël", et "Jéhu qui régnait sur
Israël".

Stèle de Tel Dan citant
la
maison de David.
Une
autre pièce archéologique porte également le
nom et l'image du roi Jéhu ; il s'agit d'une sorte d'obélisque,
découvert en
1846 par le britannique Austen Henry Layard dans l'ancienne cité
mésopotamienne
de Nimrud [4]. Le
monolithe de calcaire noir a la forme d'une
ziggurat allongée et porte sur ses faces latérales des images sculptées
en
bas-relief. Il montre le roi Jéhu agenouillé devant le puissant
Salmanasar III,
et derrière lui des serviteurs chargés de cadeaux destinés au roi
d'Assyrie. Curieusement,
la soumission de Jéhu à Salmanasar n'est pas mentionnée dans la Bible,
mais il n'est
pas exclu que le royaume d'Israël ait pu être vassal de l'Assyrie au
temps de
Jéhu.

L'obélisque
du roi assyrien Salmanasar
(unige.ch).
| 
Détail : le
roi d'Israël Jéhu
agenouillé devant le roi Salmanasar
(ilivius.org).
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L'irrésistible
ascension de l'empire assyrien allait bientôt être fatale au petit Etat
d'Israël. Le puissant royaume chaldéen avait pris naissance dans la
ville
d'Assour en Mésopotamie, et allait supplanter celui de sa voisine et
rivale
Babylone. Le roi assyrien Téglat-Phalasar III inaugura cette politique
conquérante
en se tournant vers l'Ouest et le Proche-Orient, et conquit un immense
territoire
s'étendant de la Chaldée jusqu'à l'Asie Mineure et l'Egypte.

Carte montrant
l'étendue
de l'empire assyrien
(ot103.wordpress.com).
Lorsque
Téglat-Phalasar menaça les pays méditerranéens, Israël refusa de se
soumettre
et forma une coalition avec la Syrie, dans laquelle il tenta même
d'entraîner
le royaume de Juda. Mais son roi Achaz refusa de s'y joindre. Samarie
et Damas
voulurent l'y contraindre, et marchèrent contre Jérusalem. Achaz se
retrancha
dans Jérusalem et appela l'Assyrie à son secours, en acceptant ses
conditions qui
furent le paiement d'un lourd tribut. Téglat-Phalasar intervint en sa
faveur et
renversa la situation. Il prit Damas, sauvant ainsi le royaume de Juda
tandis qu'Israël
s'inclinait.
A
la mort de Téglat-Phalasar, le roi d'Israël Osée tenta de s'affranchir
de la
tutelle assyrienne en demandant cette fois le soutien de l'Egypte. Ce
pays ne
lui fut d'aucun secours, car lorsque le nouveau roi assyrien Salmanasar
V
l'apprit, il réagit en venant capturer Osée, qu'il jeta en prison, et
en assiégeant
Samarie. Après trois ans de siège, la capitale du royaume d'Israël
tomba aux
mains de son successeur Sargon II, et ce fut la fin définitive du
royaume du
Nord (722 av. J.-C.).

Sceau du dernier roi d'Israël,
Osée
(prophetess.lstc.edu/~rklein).
La chute de Samarie, en 722 av. J.-C., fut lourde
de conséquences pour le peuple israélite. C’en était définitivement fini du
royaume hébreu du Nord. Samarie et ses territoires devinrent une province assyrienne.
Les Chaldéens pratiquèrent à l’égard des populations vaincues une politique de
migrations forcées. Leur objectif était de briser la capacité de résistance des
peuples conquis, en les éloignant de leurs pays d’origine et donc de leurs
racines culturelles. Un grand nombre d'Israélites furent donc déportés en
Mésopotamie, tandis que des groupes d’étrangers s'installaient à leur place (2
R. 17, 24). Il se forma de ce fait un peuple composite appelé les Samaritains, et
dont une petite minorité conserva malgré tout une forme de monothéisme. Cette communauté
ne fut pourtant pas reconnue par les Judéens, qui la considérèrent comme un
peuple païen.
Références :
[1] - B. Wood : "What does the Moabite Stone
reveal about the Biblical Revolt of Mesha ?" (christiananswers.net).
[2] - "David found at Dan.
Inscription crowns
27 years of exciting discoveries". Biblical Archaeology Review
20:02, Mar/Apr. 1994 (cojs.org).
[3] - D. Danzig
:
"Tel Dan Stele, c. 840 BCE" (cojs.org).
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