Le patriarche
Abraham fut témoin d'une catastrophe provoquée par la colère du
Créateur,
qui anéantit totalement les villes de Sodome et de Gomorrhe. L'Eternel
reprochait
à leurs habitants de graves fautes morales, notamment des comportements
pervers
incluant l'homosexualité. Dans la Genèse, il est question de ces villes
à deux
reprises : d'abord à l'occasion d'une guerre entre cinq cités proches
de la mer
Morte et des souverains chaldéens, ensuite au moment de leur
destruction par le
feu céleste (Gn. 13 ; Gn. 14 ; Gn. 18 ; Gn. 19).
Les deux cités
étaient bâties à proximité d'une plaine ou d'une "mer de sel". Elles
auraient été victimes de projections d'un feu destructeur venant du
ciel, et
leur destruction aurait été totale (Gn. 19, 24-25).
"Yahweh
fit alors pleuvoir sur Sodome
et sur Gomorrhe du soufre et du feu d'auprès de Yahweh, des cieux. Il
détruisit
ces villes et toute la plaine, tous les habitants des villes et la
végétation
du sol."
La mer Morte vue du sud
(ebibleteacher.com)
Nombre de
biblistes ont cherché à savoir si les deux villes avaient réellement
existé et
si leur fin était due à une catastrophe naturelle. Des études
approfondies du terrain
ont permis de formuler plusieurs scénarios de destruction possibles.
La région de
la mer Morte possède des caractéristiques géologiques tout à fait
originales.
Elle est située sur la grande faille tectonique du Levant, sorte de
fracture
rocheuse géante qui sépare deux plaques continentales de la croûte
terrestre.
Cette faille nord-sud court du golfe d'Aqaba, suit la mer Morte et la
vallée du
Jourdain et se poursuit jusqu'à l'est de la Turquie. Le déplacement
progressif deux
plaques constitue une source occasionnelle d'activité sismique.
Le niveau de
cette mer isolée est situé 400 mètres plus bas que celui des océans, et
sa
salinité leur est dix fois supérieure. Elle est entourée de roches très
chargées
en sel, dont la profondeur souterraine atteint plusieurs kilomètres.
L'eau en
évaporation permanente est renouvelée principalement par le Jourdain
ainsi que
par des sources très chargées en divers sels minéraux. La mer Morte est
aujourd'hui
menacée de disparition, à cause du détournement partiel du Jourdain
exploité par
les pays riverains.
L'hypothèse
de l'engloutissement
Si l'on suppose
que les villes de Sodome et Gomorrhe existaient et furent rayées de la
carte, plusieurs
scénarios ont été proposés pour expliquer leur disparition. Une
hypothèse
avancée en 1951 par le professeur Jack Finegan, de l'University
Christian Church de Berkeley, fait appel à un affaissement
de terrain de très grande ampleur. Il
suppose que toute la partie sud de la mer Morte était alors à sec, et
qu'un effondrement
brutal de cette la plaine se serait produit, laissant s'y engouffrer
les eaux
de la partie nord de la mer Morte. Les villes du sud auraient alors été
entièrement
recouvertes par les eaux.
Quelques indications
issues du texte biblique paraissent en effet compatibles avec
ce
schéma. La première référence biblique aux cités de la mer Morte est
faite lors
de la révolte contre la tutelle chaldéenne. Cinq villes sont impliquées
dans ce
soulèvement : Sodome, Gomorrhe, Adama, Séboïm et Bala (ou Ségor) (Gn.
14, 2). Un combat aurait eu lieu "dans la plaine de Siddim" et se
serait
terminé
par la fuite des rois de Sodome et de Gomorrhe, qui auraient péri en
tombant
dans des
puits de bitume. La plaine de Siddim, définie comme une mer de sel,
correspond
peut-être à la partie sud alors asséchée de la mer Morte.
Une autre
explication
un peu moins spectaculaire fut proposée en 1995 par les géologues
anglais Graham
Harris et Anthony Beardowin. Selon
eux, un fort séisme aurait provoqué une remontée brutale de matières
fluides
souterraines. Le sol liquéfié devenu instable aurait subi un glissement
de
terrain juste sous les deux villes, qui auraient été précipitées dans
la mer
Morte.
A côté de ces
hypothèses "maximales" qui font disparaître Sodome et Gomorrhe sous
les eaux, il a été envisagé une destruction terrestre, laissant
éventuellement
des vestiges visibles en surface. C'est ce que semblent indiquer les
résultats
de plusieurs campagnes de fouilles menées sur les rives.
Les
cinq villes de l'Est
En 1924, les
restes d'une cité antique disparue furent mis à jour à Bab ed-Drha, à
l'est de la
péninsule d’El Lisan. Ses vestiges furent fouillés à partir de 1973 par
les
archéologues américains Walter Rast et Thomas Schaub dans le cadre d'un
programme nommé Expedition of the Dead
Sea Plain.
Ce programme
fut particulièrement productif, car dans la région sud-est de cette mer
on
découvrit les vestiges de quatre autres villes, alignées selon un axe
nord-sud au
pied du plateau jordanien : Numeira, Safi, Feifa et Khanazir. Les
fouilles
permirent de dater leur occupation de l'âge du Bronze ancien, vers
3300-2300 environ
avant notre ère. Deux d'entre elles, Bab ed-Dhra et Numeira, ont montré
les
traces d'une destruction violente avec tremblement de terre et
incendie.
Dans les deux
cas, l'intérieur des habitations a révélé une épaisse couche de cendres
recouvrant le niveau d'occupation le plus récent. Dans les deux cas, on
a
trouvé des bases de murs aux parois inclinées. A Numeira subsistent les
restes
d'une tour abattue qui a dans sa chute écrasé trois personnes. En
outre, on découvrit au voisinage de ces villes plusieurs vastes
cimetières qui
furent eux aussi la proie des flammes.
Chantier
de fouilles à Numeira
(nd.edu).
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Une
tour effondrée à Numeira,
qui fit
trois victimes dans sa chute
(nd.edu).
|
Rast et Schaub ainsi que d’autres chercheurs ont
pensé
identifier Bab ed-Dhra avec Sodome, et Numeira avec Gomorrhe. Cet avis
est
encore discuté. Pour les sceptiques, les destructions peuvent très bien
avoir
été provoqués de main d'homme. De plus, la date de leur destruction est
bien
antérieure à l'époque présumée des patriarches que propose la
chronologie
biblique traditionnelle (autour de 1800 av. J.-C.).
Cependant un indice
provenant d'un autre site est venu à l'appui de la thèse biblique. Dans
l'ancienne
ville syrienne d'Ebla, fut mise à jour en 1975 une tablette d'argile
gravée de
signes cunéiformes. Elle décrit le trajet d'une route commerciale qui
contourne
la mer Morte par l'est et le sud. La tablette dresse la liste des
villes qui
jalonnent l'itinéraire. La 210ème ville citée porte clairement le nom
de Sodome,
que le document positionne au niveau de la presqu'île El Lisan. Si la
traduction de cette tablette est exacte, elle confirme que les ruines
de Bab
ed-Dhra sont bien celles de Sodome.
Les cinq
cités antiques trouvées à partir de 1924
(remerciements à Michael Sanders - biblemysteries.com).
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La
carte de l'itinéraire décrit par
la tablette d'Ebla
(ankerberg.com).
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Curieusement, Gomorrhe n'est
pas mentionnée sur la tablette d'Ebla. Ceci n'est pas surprenant
lorsqu'on sait
que les ruines de Numeira (Gomorrhe ?) ont montré une occupation de
très courte
durée, une centaine d'années tout au plus. Il est donc possible que
Gomorrhe
n'existait pas au moment ou la tablette a été gravée.
Tablette cunéiforme
trouvée à Ebla
(abu.nb.ca/ecm).
Une
cataclysme géologique
En 1929, le géologue
américain Frederick Clapp étudia minutieusement la région de la mer
Morte. Il
déclara ce secteur à risque sismique élevé et constata que son sous-sol
était
riche en matières inflammables, notamment en bitume et en soufre, et
que le
terrain reposait sur des réservoirs naturels de gaz et d'hydrocarbures
sous haute
pression.
Ces particularités
géologiques l'incitèrent à imaginer un scénario catastrophe pour Sodome
et
Gomorrhe. Un fort séisme aurait fait jaillir du sous-sol des matières
inflammables, qui auraient pris feu et seraient retombées sur les
villes,
provoquant de violents incendies s'ajoutant aux fortes secousses. C'est
ce processus
qui aurait été décrit par les auteurs de la Bible.
Il ignorait
encore que les ruines de Bab ed Drha et de Numeira sont situées
exactement sur
la ligne de la faille géologique. Leur position a conduit Briant Wood à
appliquer ce scénario à la destruction des deux sites fouillés, et à
confirmer
leur identification aux villes bibliques.
Epanchement
de bitume
dans la
région de la mer Morte
(geology-israel.co.il).
|
Coulée
de bitume
dans la région de la
mer Morte
(geology-israel.co.il).
|
En définitive,
le spectacle apocalyptique de cette plaine fumante et crachant le feu a
pu ressembler
à ce dont Abraham aurait été le témoin (Gn. 19, 27-28) :
"Abraham se leva
de bon matin et se rendit à l'endroit où il s'était tenu devant la face
de
Yahweh. Il regarda du côté de Sodome et de Gomorrhe et vers toute
l'étendue de
la plaine et vit que de la plaine s'élevait de la terre comme la fumée
d'une
fournaise."
Reste le
problème de la datation de l'évènement. La destruction de Bab ed Drha
et de Numeira
est datée de la fin de l'âge du Bronze ancien III, vers 2300 av. J.-C.,
ce qui est
bien trop tôt pour qu'elle coïncide avec l'époque supposée des
patriarches. Briant
Wood expliqua l'écart par une incertitude sur l'âge conventionnel de la
fin du
Bronze ancien III en Palestine. Il propose de la retarder de trois ou
quatre
cents ans, de sorte que la destruction de ces cités se place vers 2070
avant
notre ère.
Ainsi, malgré le
doute qui subsiste à propos de la concordance des dates, les cinq sites
de Bab
ed Dhra, Numeira et des autres découverts au sud-est de la mer Morte
restent bien
placés pour s'apparenter à Sodome, Gomorrhe et aux trois autres cités
bibliques.
Une ancienne porte de Bab ed Drha (Sodome?)
(ankerberg.com).
La
fuite de Loth
L'épisode de la destruction des deux villes est
précédé de
la fuite de Loth, neveu d'Abraham. Loth se trouvait précisément à
Sodome ainsi
que sa famille, lorsque deux anges les visitèrent et les pressèrent de
quitter
Sodome pour échapper au désastre. Ils leur prescrivirent de s'éloigner
de la
ville sans se retourner pendant leur fuite. La femme de Loth désobéit
et
regarda en arrière, ce qui lui coûta d'être transformée en statue de
sel (Gn.
19, 26).
Autour
de la mer Morte, les formations de sel ne manquent pas : beaucoup
d'excursionnistes se sont amusés à y chercher le corps de l'épouse
pétrifiée,
dans une démarche plus anecdotique que scientifique.
Ayant échappé au
désastre de Sodome, Loth et ses deux filles s'arrêtèrent dans la ville
voisine de
Ségor qui avait été épargnée, puis ils montèrent séjourner dans une
grotte proche
de là (Gn. 19, 30). Si l'on en croit la tradition locale, cette grotte
est
aujourd'hui identifiée : il s'agirait d'une caverne existant non loin
du
village actuel de Safi, transformée au VIème siècle de notre ère, en un
petit
monastère byzantin construit devant cet abri naturel, et appelé la
"grotte
de saint Loth".
L'édifice
aujourd'hui en ruines témoigne d'une longue tradition locale, et sa
localisation à proximité de Safi rend son identification assez
crédible. Il
existe à Madaba, en Jordanie, une splendide mosaïque du VIème siècle
qui
représente une carte de la Palestine. Elle place clairement l'ancienne
Zoar à
l'emplacement de l'actuelle Safi. D'autre part, les deux mots Zoar et
Ségor
sont équivalents, puisqu'ils signifient "petit", l'un en syriaque,
l'autre en hébreu. Il est donc assez vraisemblable que la grotte proche
de Safi
soit bien celle qu'occupa jadis le neveu d'Abraham.
La
traditionnelle "grotte de Loth", dont
l'entrée
a été aménagée en monastère au VIème siècle
(atlastours.net).
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Les vestiges du
monastère
de la grotte de Loth
(atlastours.net).
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Le rapprochement entre les
cinq sites datés de l'âge du bronze et les cinq villes de la mer Morte
évoqués
dans la Genèse semble donc possible. Bab ed Drha serait la Sodome
biblique,
Numeira ne serait autre que Gomorrhe, Safi serait Ségor, Feifa serait
Adama et
Khanazir serait alors Séboïm.
Détail de la mosaïque de Madaba
(archart.it).
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